…autour de l’Intelligent Design
Le sujet préoccupe de plus en plus les médias. Il suscite un débat houleux aux États-Unis, depuis les écoles publiques jusque devant les instances judiciaires à tous les niveaux du système américain. On en discute chez nous et en Europe. Mais généralement, ce n’est pas pour faire l’éloge de l’« Intelligent Design ». Ni l’intelligence ni la science ne priment dans les présentations. Plutôt, les boulets rouges de gros canons qui braquent l’arme du darwinisme pour mettre Dieu à la porte de Sa création.
On peut dès lors se demander pourquoi cette théorie a si mauvaise presse. Elle est souvent rejetée péremptoirement sans explication. On se contentera habituellement de la stigmatiser sans appel en la qualifiant de non scientifique, en l’associant au créationnisme, au fondamentalisme biblique, et même, « à l’électorat évangélique d’extrême droite de Bush ».
Préjugés ecclésiastiques?
Même dans l’Église catholique, la mode n’est guère à l’encensement de la théorie. On aurait pu croire pourtant qu’elle arrive à point nommé dans notre contexte de christianisme noyé dans l’athéisme ambiant. On l’a plutôt critiqué vertement, sans vraiment examiner objectivement ses tenants et aboutissants, quand le cardinal autrichien, Christoph Schonborn, a eu le malheur récemment d’exprimer une opinion favorable. Et lorsque Benoît XVI a laissé échapper en novembre dernier, au cours d’une audience à laquelle participait ce même cardinal, les deux mots «projet intelligent» en parlant de la création, on s’est empressé en hauts lieux de rectifier l’impression qu’il a pu faire allusion et approuver implicitement l’I.D.
Le 27 mars dernier, encore, le directeur de l’Observatoire du Vatican, le père George Coyne, emboîtait le pas du conformisme malveillant en regard de la théorie. Lors d’une conférence prononcée à Washington, le jésuite la qualifiait de « concept absurde » du mouvement fondamentaliste américain qui vise, dénonce-t-il, à démontrer l’existence de Dieu par la science.
« Ils utilisent la Bible comme science, comme une source de connaissance scientifique. C’est mal ! », s’est-il exclamé en parlant des promoteurs de la théorie. « L’“intelligent design”, ajoute-t-il encore, est un mouvement religieux fondé sur la peur que si vous n’enseignez pas une alternative à l’évolution (dans les écoles), on obtiendra tout un lot de petits athées qui vont courir un peu partout. »
Or rien n’est plus éloigné de la vérité que cette description du « projet intelligent », pour utiliser la terminologie du pape. Ce n’est pas un mouvement religieux. La théorie n’est pas née par peur de l’athéisme et n’utilise pas la Bible comme source de connaissance scientifique. Lorsque j’en viendrai à la décrire en toute objectivité dans un deuxième article, on pourra constater que tout est faux dans l’évaluation du religieux détenant le poste scientifique le plus prestigieux du Vatican.
Les causes
Une réaction aussi virulente, tant à l’intérieur de l’Église que dans certains milieux se réclamant des sciences, démontre à tout le moins une chose. Le combat primaire enclenché contre cette théorie est un signe qu’on la redoute. Pourquoi ? De quoi a-t-on peur au juste ?
Dans l’Église, la crainte d’être perçu anti-scientifique et inobjectif à cause de la foi joue probablement un grand rôle. Dans les milieux athées, par contre, c’est l’anxiété pouvant faire suite à une résurgence du divin en science et sur la place publique qui est déterminante. La peur d’un Dieu supposément mort, en somme, et dont une science qui se respecte devrait faire l’économie!
Mais avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que je ne suis pas personnellement un mordu de la théorie de l’I.D. Elle a ses mérites et ses failles. On peut l’estimer critiquable mais encore faut-il que ce soit pour les bonnes raisons et après avoir déblayé l’inextricable écheveau des malentendus et préjugés qui foisonnent tout autour.
Évolution et darwinisme
Commençons par éclaircir ce qu’il est convenu d’appeler le darwinisme. Charles Darwin (1809-1882) n’est pas l’auteur de l’hypothèse de l’évolution. Entre autres, le chevalier de Lamarck (Jean Baptiste Pierre Antoine de Monet – 1744-1829) a publié avant lui une théorie qui explique la diversité des espèces vivantes par les transformations successives des organismes sur de longues périodes de temps. L’idée de l’évolution n’était pas non plus entièrement étrangère à la pensée de certains philosophes grecs de l’Antiquité et, par la suite, de théologiens chrétiens.
Tout le mérite de Darwin tient de ce qu’il a su prouver, par l’observation scientifique des fossiles, que les espèces sont apparues par suite de changements progressifs allant du simple au complexe. On peut induire de ce constat que tous les organismes vivants de notre planète, incluant l’homme, dépendent d’une origine commune remontant au début des temps géologiques terrestres.
Ceux qui suivent le naturaliste anglais jusque là peuvent être considérés évolutionnistes. Je suis de ceux là. L’évolution biologique, entendue dans le strict sens que je viens de définir, est au coeur de la recherche, non pas scientifique mais philosophique, que je poursuis depuis ma conversion et que j’expose dans mon ouvrage L’évolution d’Alpha à Oméga disponible sur ce site.
Là où ça se complique, c’est à partir de la question qui suit immédiatement l’hypothèse indéniablement démontrée. Il s’agit d’interpréter le fait de l’évolution, d’en décoder le fonctionnement, de mettre en évidence ce qui la détermine, ce qui enclenche les transformations biologiques et préside à l’apparition de nouvelles espèces.
C’est ici que l’on peut situer la particularité du darwinisme. Personnellement, je suis d’allégeance évolutionniste mais je ne suis pas darwiniste. Non que je rejette globalement cette théorie mais je l’estime insuffisante. Je prétends même la compléter par une vision plus large de la réalité —une vision philosophique qui englobe la dimension spirituelle— que les sciences excluent d’emblée en raison même de la méthode scientifique qui est ordonnée exclusivement à la recherche des causes matérielles de la réalité.
En réponse à la question du comment, le naturaliste anglais a, pour sa part, avancé que l’évolution des espèces s’expliquait par la sélection naturelle. Pour survivre dans un environnement terrestre changeant, les organismes qui possèdent des organes adaptés aux conditions nouvelles ont plus de chance de se reproduire et de passer leurs caractères avantageux à leur progéniture.
Quant à la manière dont des caractères nouveaux sont acquis, le darwinisme soutient que des mutations aléatoires sans orientation peuvent survenir par hasard. Toutefois, seules celles qui s’avèrent positives, en étant ajustées au contexte environnemental, sont renforcées dans la progéniture. Tandis que les tares s’éliminent d’elles-mêmes, les porteurs, affaiblis par leur inadaptation, pouvant plus difficilement survivre et se multiplier.
Athéisme
Bien que Darwin lui-même ne soit pas allé jusque là, il n’en fallait pas plus, dans le contexte scientiste du 19e siècle, pour que certains tirent de cette thèse la conclusion que Dieu n’existe pas puisqu’il est devenu possible d’expliquer l’apparition des organismes vivants sans l’intervention d’un Créateur. Un pur sophisme issu de la philosophie positiviste qui réduit la possibilité de connaître rationnellement à ce qui peut être démontré scientifiquement.
Par la suite, l’inférence que la théorie darwinienne démontre l’inexistence de Dieu a été largement diffusée par des scientistes de deuxième classe. Ils pouvaient mettre en relief les incohérences du récit de la création de la Genèse face aux certitudes scientifiques et ainsi torpiller l’autorité de la Bible.
L’argumentation, qui n’est pas du tout scientifique mais relève de positions philosophiques extrêmement discutables, a donc eu pour effet dans le vaste public peu cultivé de relier la théorie de l’évolution à l’athéisme.
Mais comme dit l’adage souvent attribué à Louis Pasteur ou à Francis Bacon, « un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup en rapproche ». Pendant que la grande masse des peuples subissait le lavage de cerveau scientiste, de nombreux savants de haut niveau, des croyants de toute allégeance, poursuivaient les recherches amorcées par Darwin et en confirmaient la valeur sans pourtant en éprouver de conflit avec la foi. Ils ont témoigné au contraire que leur approche scientifique leur a occasionné un enrichissement, un approfondissement de leur croyance. On ne doit pas croire que le plus célèbre d’entre eux, le père jésuite Pierre Teilhard de Chardin, a été un cas isolé dans la communauté scientifique internationale.
Créationnisme
La réaction religieuse ne tardait pas à se manifester après la publication en Angleterre De l’origine des espèces. Dans les journaux de l’époque, la théorie de Darwin était ridiculisée à fond de train et inspirait de nombreuses caricatures autour de l’assertion darwinienne présumée mais inexacte à l’effet que “l’homme descend du singe”.
Ce sont cependant les milieux évangéliques américains qui ont réagi le plus fortement contre la théorie au nom de la religion. Entre autres stratégies d’opposition, ils ont tenté pendant des décennies de bloquer l’enseignement de l’évolution dans les écoles et s’y activent encore aujourd’hui sans succès. À l’instrumentalisation par l’athéisme de l’évolution, ils ont répondu par un présupposé contraire, celui de la révélation chrétienne interprétée selon la lettre de l’Écriture.
C’est dans cette ligne de pensée que l’on trouve les créationnistes les plus radicaux. Certains soutiennent encore mordicus que l’univers a été créé en six jours de 24 heures, il y a 6000 ans et à l’encontre des découvertes scientifiques non seulement de la paléontologie mais de la géologie, de la biologie moléculaire, de l’embryologie et autres sciences qui confirment l’hypothèse de l’évolution biologique, ils prétendent imposer à l’ensemble de la société une interprétation littérale de la Genèse.
Fruits de la Réforme
On peut se demander comment et pourquoi, dans tout le monde chrétien, une réaction aussi anti-scientifique a pu se focaliser particulièrement dans les États du sud des États-Unis ? C’est qu’on retrouve dans cette région géographique, souvent désignée comme « The Bible Belt » (la ceinture biblique) une concentration d’Églises et de sectes évangéliques, baptistes et pentecôtistes. Des regroupements religieux héritiers d’une Réforme protestante repliée jusque dans ses derniers retranchements.
L’anglicanisme, en effet, après avoir rompu ses liens avec l’Église catholique, s’est fragmenté avec le temps en communautés de plus en plus fragiles disposant de moins en moins de moyens pour maintenir leur cohésion de foi. La perte successive de la Tradition remontant aux Apôtres, de l’autorité centrale de l’Église, de l’enseignement magistériel, d’une doctrine théologiquement articulée, des sacrements médiateurs de vie spirituelle a contraint ces communautés à se rabattre sur la Bible comme unique recours pour construire leur unité et “sauver” leur foi d’un subjectivisme délirant. Une Bible alors annoncée avec véhémence, et même parfois un certain fanatisme, comme Parole de Dieu “en direct”, infaillible jusque dans le moindre iota.
Pas étonnant que toute contestation du sens littéral de la Genèse soit perçu par eux comme un assaut dirigé contre la révélation du Sauveur de l’humanité et visant à imposer une vision agnostique, et finalement anti-chrétienne, de la réalité.
Lire la suite: la position de l’Église catholique; les origines scientifiques de l’« Intelligent Design »; ce qu’on peut en retenir et ce qu’on doit rejeter.)
Cet article a été publié dans Le NIC, 25 juin 2006
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