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27- La condition féminine

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Ève : L’une des choses qui me dérange dans le récit de la chute, c’est le fait que l’auteur attribue l’initiative de la faute à la femme. Vous décuplez ce malaise lorsque vous expliquez que la faute constitue un glissement du rationnel vers le sensoriel, une rétrogradation du troisième au deuxième niveau de la Maison de la vie. Devrions-nous conclure que la Genèse démontre une présumée infériorité rationnelle de la femme par rapport à l’homme ?

— L’auteur n’a certainement pas voulu illustrer un quelconque statut d’infériorité de la femme. Au contraire, on peut interpréter qu’en faisant jouer à la femme le premier rôle dans la scène de la tentation, l’auteur la fait voir plus délurée, plus brillante même que son mari. Bien que son époux soit présent tout au cours de l’épisode de délibération, ce n’est qu’en tout dernier qu’il entre en scène comme un personnage passif sans grande volonté propre. « Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, QUI ÉTAIT AVEC ELLE, et il en mangea » (Gn 3, 6). Ici, Adam n’apparaît pas très fort. Il semble plutôt du genre lavette. Il ne pose aucune question. Il se conforme simplement à ce qu’a décidé sa compagne.

Au Créateur qui l’interpelle, il s’excuse d’ailleurs en projetant sur sa moitié la responsabilité de la faute. « C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé » (v. 12). L’on peut même saisir dans sa justification un certain blâme dirigé contre Dieu. En définitive, ce serait Yahvé qui aurait commis la première erreur en lui donnant cette femme « que TU as mise auprès de moi ». Le mépris du sexe masculin contre le sexe féminin commence ici à pointer la tête. La femme n’est plus « la chair de ma chair et l’os de mes os » (Gn 2, 23) mais un être objectif parmi les choses extérieures dont il prend ses distances.

Mais puisque le Créateur avait jugé que l’homme ne devait rester seul et qu’il avait besoin d’une « aide qui lui soit assortie », c’est parce que l’être humain, laisse entendre l’auteur biblique, quel que soit son sexe, est incomplet. Pour cheminer avec assurance et en sécurité vers un accomplissement ultime, il a besoin d’appui, de soutien, d’aide.

On peut induire de cette incomplétude que la nature humaine n’a pas été créée à l’origine dans un état de perfection immuable. Depuis qu’elle a été lancée dans l’espace et le temps, elle est appelée à participer graduellement et librement à des transformations structurales en vue d’une plénitude à venir. L’être humain est un être en mouvance sur le chemin d’un parachèvement qu’il ne peut concevoir puisque la réalisation parfaite de cet accomplissement dépend d’un dépassement de son niveau. Il doit marcher sans savoir où son chemin évolutif le conduira en faisant confiance que sa démarche, sous la houlette de Dieu, l’amènera éventuellement vers une résolution permanente de l’énigme de sa vie.

Cet indéterminisme en fait un être faillible. Bien qu’il ait atteint le niveau rationnel, l’humain peut se tromper de route. Il doit apprendre à vivre à la charnière de deux trajectoires inverses. Celle d’un monde où sévissent les chocs générés par les accidents de la matérialité, et celle de la vie palpitante qui aspire à la béatitude de l’esprit. Cette vulnérabilité de l’être en devenir fait sa faiblesse. Une faiblesse honorable car elle est précisément le paramètre de l’humanisation de notre espèce, comme je l’ai soutenu dans mes entretiens avec Albert : L’homme devient pleinement homme lorsqu’il reconnaît sa propre fragilité ainsi que celle de ses frères humains.

En faisant jouer le premier rôle par la femme, l’auteur biblique a donc pu vouloir dire que c’est la fragilité humaine qui a fait chuter. Si le sexe dit “faible” a été entraîné en premier dans la chute, ce n’est pas parce qu’il est moins intelligent mais parce qu’il est plus humain et plus proche de la vie, plus axé sur l’intériorité que le sexe dit “fort”. Adam, d’ailleurs n’a-t-il pas donné à sa femme le nom d’Ève, ce qui veut dire « mère de tous les vivants » (Gn 3, 20) ? Il reconnaissait ainsi que le sexe féminin détient une compétence particulière en matière de vie. Ce qui, loin de la rendre inférieure, lui confère un certain avant-gardisme, une avancée sur le sexe mâle en regard du destin ultime de l’humanité.

— Voilà qui me rassure face à ces prédicateurs qui n’ont eu de cesse de culpabiliser la femme en projetant sur elle la responsabilité de tous les maux. La femme n’est donc pas plus coupable que l’homme !

— S’il y a quelque chose, je dirai même que le texte biblique peut s’interpréter dans le sens d’une minimalisation de la responsabilité de la femme. Je peux le déduire de trois constats. Premièrement, du fait que la femme mange d’abord du fruit sans que son geste produise un effet. C’est seulement après que l’homme a mangé à son tour que la faute devient effective. « Alors, leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ». On peut voir dans l’effet produit, particulièrement l’allusion à la nudité, une indication que ce sont les deux sexes ensemble, et non pris séparément, qui sont responsables.

Je vois encore un autre signe du fait que Dieu minimise la responsabilité de la femme comme s’il ne voulait pas trop insister sur sa participation à la faute. Il interpelle d’abord le serpent et lui décrit les conséquences de son acte en deux longs versets. Il passe ensuite rapidement à la femme en lui adressant une seule phrase contenue dans un demi-verset tandis que l’homme se méritera une remontrance sur trois versets (Gn 3, 17-19).

Enfin, c’est le contenu des conséquences de la chute qui peuvent le plus exonérer la femme d’une culpabilité excessive et particulière. Je ne la qualifierai pas de moindre que celle de l’homme mais de plus explicable, et donc, de partiellement excusable.

Dieu s’adresse d’abord au serpent. Il le condamne à ramper désormais sur le ventre et à se nourrir de terre. Dans notre optique, cette conséquence peut s’interpréter comme l’imposition d’un plafonnement infranchissable du deuxième niveau de la Maison de la vie. Comme si Dieu, à cause de l’influence que la vie animale a exercée dans la chute, avait été contraint de changer ses plans pour que la conscience du « plus intelligent des animaux » — donc le plus évolué du règne animal — ne puisse jamais dépasser les limites du terrestre, c’est-à-dire de la perception sensorielle. En d’autres mots, Dieu déclare au serpent que le règne animal n’atteindra jamais le niveau rationnel du troisième. Au lieu de s’élever de plus en plus sur le plan de la verticalité selon la loi d’évolution de la substance vivante, l’animal demeurera collé à la terre et devra se nourrir exclusivement de terrestre « tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie » (v. 14) sans jamais avoir accès à la nourriture céleste, celle de l’esprit.

Et Dieu poursuit : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien » (v. 15). Il ne faut pas oublier que ce texte a été rédigé dans une société patriarcale où la tradition et l’héritage sont transmis de père en fils et non de mère en fils ou en fille.

L’on peut alors se demander ce que peut bien signifier cette attention portée sur « le lignage » de la femme ? C’est que la femme représente le volet vital de l’existence — donc l’intériorité, la spiritualité — tandis que l’homme, du fait de sa mission de pourvoyeur, est sollicité particulièrement par le côté matériel — donc l’extériorité. Quant au serpent, il représente les sens. L’hostilité entre le lignage du serpent et celui de la femme peut donc évoquer un conflit entre la dimension vitale de la conscience et l’inévitable usage des sens. Ce qui aura pour conséquence que l’intériorité ne pourra se développer qu’au prix d’une lutte acharnée pour contrevenir à l’effet des sens sur la conscience.

Ce conflit peut encore se traduire dans nos termes comme une désarticulation, un déchirement entre les deux tensions de la substance vivante : celle découlant de la loi extérieure d’adaptation au contexte environnemental et celle relative à la loi intérieure de dépassement vers une vie qualitativement plus haute. Nous voici ici en plein cœur de l’écartèlement tragique vécu par l’humanité. Vue sous l’angle évolutionniste qui est le nôtre, la situation de l’être humain apparaît catastrophique, écartelé comme il est depuis son origine, entre les deux tensions de la substance vivante.

Mais tout n’est pas perdu. Le « lignage » de la femme, ajoute aussitôt le Seigneur, « t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon » (v. 15). L’Église a interprété ce verset comme une prophétie annonçant la venue éventuelle d’un sauveur. L’on peut même y voir une allusion voilée à la conception du Messie par l’Esprit. Car le « lignage » de la femme implique une fécondation en direct, en quelque sorte. La résurgence dans le sein d’une femme, sans intervention masculine, de la vie à l’état pur, cette substance vivante que nous pouvons ici associer à l’Esprit vivant (cf. Jn 6, 63).

« Il t’écrasera la tête… » Le descendant de la femme parviendra certes à vaincre le conflit entre les deux tensions de la substance vivante dans l’humanité mais au prix que « tu l’atteindras au talon ». Ce qui signifie que tu blesseras ce Fils du Ciel, cet enfant né exclusivement de l’intériorité, lorsqu’il touchera Terre. En d’autres mots, tu l’atteindras dans son corps, dans sa dimension extérieure, visible et objective.

En clair, si la chute est initialisée par la femme, le salut passe également par elle. Mais à cause de la chute, déclare Dieu en s’adressant ensuite à la femme, le salut ne s’accomplira pas sans souffrance. Les douleurs de l’enfantement que la femme expérimente en mettant des fils au monde y participeront. « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils » (v. 16).

La deuxième partie de ce verset intrigue. « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. »

— Mais pourquoi et comment la chute aura-t-elle pu avoir un effet sur la relation entre l’homme et la femme ?

— J’en arrive au cœur du troisième point démontrant une minimalisation par l’auteur biblique de la responsabilité de la femme dans la faute. Pour comprendre ce qui est en jeu, il faut se référer aux versets 16 et 17 du deuxième chapitre.

Et Yahvé Dieu fit à l’homme ce commandement : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort ».

Bien sûr, les choses ne se sont pas passées objectivement comme elles sont racontées. Il faut se placer ici dans l’optique du rédacteur pour décoder la signification réelle du texte. En substance, il veut indiquer qu’au moment où l’homme reçoit le commandement de ne pas manger le fruit de l’arbre, la femme n’a pas encore été créée. C’est tout de suite après que Dieu se fait du souci pour lui faire « une aide qui lui soit assortie » (v. 18).

Ève n’a donc pas été informée directement par Dieu de l’interdiction. Elle l’a apprise de son mari. En sorte que sa faute représente non simplement le rejet d’une injonction divine mais un manque de confiance envers son époux. En décidant de manger du fruit de l’arbre, Ève a choisi de faire plus confiance à ses sens et à son jugement propre qu’à la parole de son compagnon de vie. De là découle la fâcheuse conséquence sur leurs relations post-édéniques.

— Ainsi donc, Dieu aurait ordonné l’assujettissement du sexe féminin au sexe masculin en représailles pour cet aspect particulier de la faute d’Ève ?

— Lorsque Dieu s’adresse à tour de rôle aux trois protagonistes mis en scène par l’auteur du récit, ce n’est pas pour distribuer des punitions à droite et à gauche en représailles pour le péché originel. Il n’y a rien d’arbitraire dans la réaction du Créateur. Yahvé ne punit pas, même si la lettre biblique, apparemment, le laisse entendre. Une relecture en profondeur du texte amène à conclure qu’il constate simplement les conséquences de la chute.

Car les effets découlant de la violation par le premier couple de l’ordre imprimé dans la création — que constitue la faute originelle — ne sont pas inéluctables. Les diverses composantes du discours divin n’ont pas force de loi. Elles mettent plutôt le doigt sur des inclinations pouvant désormais entraîner la nature humaine à sa perte. Les conséquences de la chute ne doivent donc pas être acceptées ni comme des punitions ni comme d’inévitables fatalités. Au contraire, l’être humain se doit de lutter de toutes ses énergies pour éviter de se laisser dominer par des tendances opposées à sa vraie nature, qui peuvent l’amener à se dégrader dans son parcours vers sa destination ultime.

Par exemple, le fait que Dieu constate que la femme devra subir un accroissement des douleurs de l’enfantement (v. 16) n’implique pas qu’il soit interdit de mettre en œuvre les moyens pour les réduire autant que possible, ou même les éviter complètement. La souffrance est à combattre énergiquement pour libérer les humains des deux sexes des entraves à leur épanouissement.

Il en est de même pour cet autre constat appliqué spécifiquement au sexe pourvoyeur des moyens de subsistance : le sol « produira pour toi épines et chardons. À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain » (v. 18-19). Cette conséquence n’impose pas à l’homme de laisser les épines et les chardons se multiplier dans les sillons du labour. Il implique plutôt qu’il est contraint de les arracher pour assurer sa subsistance et celle des siens. Ce qui revient à dire qu’il doit lutter avec la dernière énergie contre des forces adverses qui se dressent sur le chemin de son évolution.

Et pour en venir à votre questionnement à propos de la sujétion de la femme, la bonne conduite du sexe masculin ne consiste pas à exploiter l’effet de la chute sur la relation entre les sexes pour justifier une mise sous tutelle ou l’attribution d’un statut d’infériorité à la femme. Il serait aberrant d’utiliser la Bible pour renforcer l’inclination du sexe masculin, inscrite viscéralement dans les cultures depuis toujours, à dominer le sexe féminin. Au contraire, cet effet impose au sexe masculin et aux sociétés de contrecarrer une inclination mauvaise liée à la nature pécheresse. Une nature humaine à l’origine parfaitement rationnelle et équilibrée mais qui a régressé, en raison de la chute, vers le niveau instinctuel de l’animal.

Si bien que, dans la définition classique de l’homme comme “animal raisonnable”, le côté animal a désormais tendance à primer sur la raison. L’être humain réagit plus spontanément à la sensorialité génératrice d’émotions qu’à la logique. L’exercice de la noble faculté, obscurcie par la convoitise des sens, en est rendu difficile, le poids de la bête se faisant davantage sentir en raison de la chute. L’épaisseur charnelle de l’homme l’incline presque irrésistiblement vers la facilité et la satisfaction de ses appétits. Elle l’entraîne ainsi sur la pente de la “matérialisation” vers une économie vitale de deuxième niveau.

— Plus l’homme adopte une attitude de domination envers la femme, donc, moins il serait humain et plus il se rapprocherait d’un comportement animal ?

— Je ne saurais mieux dire ! Le dominateur se dégrade lui-même en utilisant ses forces pour écraser, plutôt que pour protéger sa compagne de vie, plus fragile que lui physiquement mais plus proche des valeurs vitales humaines. La domination masculine, calquée sur la suprématie du mâle sur la femelle, donne ainsi le coup d’envoi à une culture sous-humaine.

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Ce livre présente une anaslyse approfondie du deuxième récit de la création de la Genèse, abordé sommairement dans l’article ci-contre.
La création :
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L’influence que le premier couple a eu sur toute l’humanité ne se limite pas à l’accession à la rationalité. Elle touche aussi à la manière de l’exercer. Ce n’est pas la raison en elle-même qui est en cause dans la chute mais l’agir qui s’ensuit. La spécificité humaine ne se définit pas que par la raison. Elle implique aussi l’action conséquente.
La bonne conduite du sexe masculin ne consiste pas à exploiter l’effet de la chute sur la relation entre les sexes pour justifier une mise sous tutelle ou l’attribution d’un statut d’infériorité à la femme. Il serait aberrant d’utiliser la Bible pour renforcer l’inclination du sexe masculin, inscrite viscéralement dans les cultures depuis toujours, à dominer le sexe féminin. Au contraire, cet effet impose au sexe masculin et aux sociétés de contrecarrer une inclination mauvaise liée à la nature pécheresse.
Si la chute est initialisée par la femme, le salut passe également par elle. Mais à cause de la chute, le salut ne s’accomplira pas sans souffrance. Les douleurs de l’enfantement que la femme expérimente en mettant des fils au monde y participeront. « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils » (v. 16).

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