Catégories
Commentaires récents
  1. Cher Nicolas, notre dernier VTPN s’est terminé un peu abruptement et m’a laissé sur ma faim. Serait-ce parce que notre…

  2. Tu me juges « absolument hérétique ». Ton verdict arrive un peu vite, il me semble. Tu te positionnes à…

  3. D’entrée de jeu, je mentionne deux aspects du discours de Paul qui continuent de me fatiguer. 1. Il poursuit sur…

  4. La spiritualisation de la substance vivante (ou angélisation) résoud positivement deux hypothèses aux antipodes concernant l’origine de l’univers : la…

  5. Entretien complexe et audacieux. Pour en écrire un commentaire pertinent, il faudrait que je m’y plonge beaucoup plus longuement et…

  6. Les postulats fondateurs de la philosophie quantique, soutenus au début de cette démarche, commencent à donner du fruit. On avance…

Recherche
19- Le quatrième en vue

< article_précédent _______________________________________________ article_suivant >

Albert : Notre dernier entretien s’est terminé sur une note plutôt pessi­miste. L’avenir de l’humanité serait-il inévitablement marqué pour le désastre ? N’y a-t-il aucun espoir que l’homme puisse éventuellement s’en sortir ?

— La réponse à cette question dépend de la perspective de chacun. Pour la philosophie quantique, la place occupée par l’observateur — ne l’oublions pas — est tout aussi déterminante que ce qu’il observe. Or, nous avons ici une illustration patente de l’importance de cet axiome pour une appré­hension universelle de la réalité. Notre prospective devra donc prendre la couleur de l’une ou l’autre de deux dispositions subjectives possibles.

Si l’on se situe dans le courant dominant de la culture actuelle, c’est-à-dire que si l’on est motivé par une conception réductrice de la réalité à la matière et que l’on met toute sa confiance dans les exploits scientifiques du génie humain, alors l’on se trouve devant un très grave danger ! Comme nous l’avons observé, l’avenir est bouché de ce côté, les limites planétaires sont atteintes et il n’y a aucun signe d’une trouée possible dans la ligne de l’horizontalité.

D’autre part, une analyse lucide et objective du monde moderne peut faire pressentir qu’une forme ou l’autre de catastrophe planétaire est aux portes de l’humanité. Le genre humain tourne en rond et répète en les am­plifiant les mêmes erreurs d’aiguillages dont l’Histoire regorge.

Au contraire, si l’on opte pour la vie, c’est-à-dire que si l’on s’ouvre à la dimension intérieure et que l’on inscrit son développement dans l’axe de la croissance verticale, le devenir de l’humanité peut apparaître beau­coup plus réjouissant. Au point même de permettre une interprétation pro­digieusement positive de l’impasse dans laquelle stagne l’humanité. Car elle est le signe que la substance vivante en l’humanité s’apprête à dépla­fonner le troisième étage de la Maison de la vie.

En émergeant au quatrième, elle pourra repartir à neuf — comme lors des passages antérieurs du premier au deuxième et du deuxième au troi­sième — en quête de l’objet qu’elle poursuit depuis l’origine. N’y a-t-il pas là une perspective enthousiasmante ? D’autant plus que ce passage du troisième au quatrième s’adresse particulièrement à la conscience des humains d’aujourd’hui, non ceux du passé ou ceux de l’avenir mais ceux qui vivent au présent.

Et puisque cette transition radicale concerne l’homme contemporain, ce n’est pas pour qu’il la constate à la manière d’un élément culturel de plus à ajouter à son bagage intellectuel. Chacun en particulier, moi, vous et les autres humains de notre planète, nous en sommes tous concernés jusqu’aux tréfonds de notre vie intime. Car la proximité d’un tel passage interpelle les consciences dans leur intériorité. Elle les incite à une remise en question urgente — ce que diverses religions nomment conversion — en vue d’appréhender la dimension vitale de la réalité. Ce qui se traduit par une ouverture décisive à la dimension religieuse.

Une telle réorientation de la conscience lance la structure humaine sur une voie évolutive de dépassement de la condition actuelle vers une vie plus haute et plus intense, dépassement dont la vie spirituelle est la clef. Les principales religions qui ont inspiré l’humanité témoignent toutes implicitement que l’homme peut et doit être dépassé. L’humanité est en marche sur une route qui va au-delà d’elle-même.

L’homme est un être de passage. Il est un maillon de la chaîne encore inachevée de cet incomparable phénomène de vie qui traverse de part en part l’espace-temps de la matière. Si l’homme était l’aboutissement du processus évolutif, s’il était l’objet poursuivi par la substance vivante, alors il faudrait en rester à l’échec déjà constaté d’une humanité figée irréversiblement dans les valeurs matérialistes. Dans le meilleur des scé­narios, on assisterait alors à la matérialisation d’une humanité égarée, errant sans but dans les sombres dédales d’un destin absurde.

Mais s’il est vrai que la substance vivante n’a pas dit son dernier mot avec l’avènement de l’homme, il importe de bien saisir qu’elle poursuit tout de même sa route évolutive en passant par lui et nulle part ailleurs. Le devenir de la substance vivante dépend de l’homme. Plus précisément de sa liberté. Une liberté qu’il exerce non pas avec ses mains — fussent-elles des plus habiles et astucieuses — mais avec son cœur, en cette intimité dans laquelle il peut engager toute son existence. Une liberté non pas préoc­cupée par le faire et l’avoir de l’horizontalité mais propulsée vers la vie et l’être de la verticalité.

— Vous parlez d’objet poursuivi par l’évolution des organismes. Pour­riez-vous être plus explicite ?

— Nous avons déjà évoqué cet objet. Il est bon d’y revenir dans le contexte actuel. Nous savons que le dynamisme de la substance vivante se manifeste toujours au présent. La vie ne peut absolument pas habiter d’autre dimension que le présent. Elle ne peut rien faire ni savoir du passé ou de l’avenir. Car le temps et l’espace sont des notions qui appartiennent exclusivement à la matérialité du monde. Il ressort de ce fait que la sub­stance vivante, dans son lien avec la matière — c’est-à-dire dans les organis­mes — ne poursuit pas d’autre but qu’elle-même. Elle projette dans la ma­tière l’image d’elle-même. Et c’est pourquoi elle cherche comme à tâtons à susciter une structure organique pouvant se maintenir dans le perpétuel présent.

Elle ne peut réussir un tel exploit au départ de son investissement de la matière. Car elle doit commencer par travailler avec les éléments de base pour poser les fondations microscopiques de la matière animée. De là, la permanence n’aura de chance d’advenir que dans le prolongement d’une complexité croissante des multiples éléments extérieurs constitutifs des or­ganismes et, parallèlement, d’une simplicité de plus en plus consciente vécue dans la dimension intérieure.

Cette quête de permanence explique le dynamisme de l’évolution en recherche de formes vivantes toujours plus élevées qualitativement. La substance vivante n’est pas tant orientée et programmée pour produire plus que pour s’élever toujours vers mieux. Parvenu au niveau humain, cet appel à la permanence prend la forme de la croyance en la survie de l’âme et à la vie éternelle. Depuis les origines de l’humanité, la très grande majorité des humains, des plus primitifs jusqu’aux plus raffinés, sont mar­qués par cette aspiration. Certes exprimée différemment aux différentes étapes de croissance de l’humanité dans son périple historique et de ma­nière plus ou moins explicite, en fonction de concepts religieux souvent divergents.

— La généralisation d’une croyance ne prouve pas son bien-fondé. La foi ne pourrait-elle pas représenter une fuite de notre condition, une consolation illusoire ?

— Vous avez raison de douter que la foi en l’immortalité “sauve” l’être humain de sa condition mortelle. Même lorsqu’il croit en la survie de l’âme après la mort, l’organisme biologique devra éventuellement se déstructurer et les éléments constitutifs du corps seront dispersés.

C’est justement en raison de cette finitude que l’on peut supposer une prochaine étape — encore à venir, il va de soi — dans le développement de la substance vivante. Car l’immortalité dont il est question, pour être cohérente avec ce que nous avons compris jusqu’ici, doit aussi englober le corps. Le nouvel organisme devra être immortel non partiellement mais jusque dans sa dimension physique. Autrement, il faudrait supposer que la substance vivante aurait eu la puissance d’animer la matière mais qu’elle aurait été incapable de mener son projet jusqu’au bout. Elle se serait lancée dans une œuvre qu’elle ne pourrait achever.

L’immortalité à laquelle la substance vivante aspire en l’être humain ne concerne pas que l’âme. Elle inclut aussi le corps. On peut encore le conclure de l’observation des niveaux inférieurs. Lors du passage du monde des unicellulaires à celui des pluricellulaires, la structure cellulaire n’a pas été abolie pour autant. Au contraire, nous avons dit qu’elle a été “sauvée” par son intégration au pluricellulaire du deuxième étage. Et lors du passage du monde des pluricellulaires à celui de la conscience réfléchie, les organes biologiques sensoriels développés dans le règne animal n’ont pas été déclassés pour autant. Grâce au développement de la rationalité, ils ont été plutôt élevés à un niveau de raffinement et de noblesse sans précédent.

De même, lors du passage du monde de la conscience réfléchie à celui de la conscience unifiée ou universelle, l’organisme humain ne sera pas physiquement perdu. Il sera plutôt perfectionné et idéalisé par son inté­gration au quatrième étage. Car le nouvel organisme devra synthétiser le niveau tout entier de la conscience réfléchie. C’est-à-dire tous les humains dans leur intégralité, physique et spirituelle, dont chaque conscience résu­me le niveau des multicellulaires et dont chaque entité corporelle résume le monde des unicellulaires. Nous retrouvons ici le jeu des poupées russes. Les entrailles de la plus grande des poupées de la vie contiennent les trois autres plus petites emboîtées les unes dans les autres.

— Votre conception des structures de vie m’étonne. Le quatrième niveau m’intrigue particulièrement. Je n’arrive pas à imaginer un organisme parvenu à ce stade de développement.

— L’imagination n’est en effet d’aucun secours pour se représenter un tel organisme. Les films d’anticipation, même dans leurs élucubrations les plus délirantes, ne réussissent pas à évoquer un niveau vital surhumain. Lorsqu’ils font la projection d’un stade d’évolution plus avancé que le nôtre, ils ne savent que grossir la tête des êtres supposément plus évolués et exagérer leurs performances intellectuelles en lien avec le domaine scientifique. Telle n’est pas la vérité sur le devenir de la vie.

Quant à la rationalité, elle peut certes venir au secours de notre faculté imaginative. Mais vu son ordonnancement à la matière, elle se doit d’abord de reconnaître ses limites et se soumettre humblement à une réalité qui la dépasse. À cette condition, elle pourra faire son chemin dans les voies du devenir en s’ouvrant aux intuitions et phénomènes mystiques de l’huma­nité dans son périple historique.

C’est à une telle démarche que je vous convie désormais, cher Albert. Je vous invite à prendre en ligne de compte avec moi les doctrines reli­gieuses. Réinterprétées dans notre optique philosophique, elles peuvent nous informer sur ce qu’il est possible de pressentir à propos de l’au-delà de l’homme. Et ceci, même si la culture matérialiste actuelle, à la solde du scientisme philosophique, déclasse généralement les concepts religieux en les mettant indistinctement sur le compte de la superstition ou de la fabula­tion. Je persiste à soutenir que le regard spirituel constitue une ouverture authentique sur la réalité. Il donne accès à une connaissance de la sub­stance vivante qui mérite considération à un titre plus éminent encore que le savoir scientifique.

Prenons la foi en l’immortalité. Elle n’est pas une idée gratuite et arbi­traire servie par la tradition religieuse pour consoler de la condition mor­telle, comme on a pu le soutenir. Elle est plutôt une connaissance induite de la réalité existentielle et découle d’une prise de conscience de la vie dans sa dimension propre du perpétuel présent. Elle s’appuie sur la con­viction intuitive que le phénomène global de la vie est d’origine intempo­relle. Un constat qui, en passant par le filtre des aspirations humaines, s’ouvre sur la perspective d’une vie sans fin et fonde la croyance que la partie spirituelle de l’homme, l’âme, est immortelle.

C’est à ce genre d’intuition qu’il faut faire appel pour extrapoler les conditions de l’organisme appelé à prendre la relève de l’homme. Par exem­ple, l’on peut se demander pourquoi certaines disciplines religieuses plus récentes valorisent la continence sexuelle. Selon ces doctrines — dévelop­pées tant dans le bouddhisme que le catholicisme et ailleurs — la consécra­tion du célibat vise un accroissement de vie spirituelle. Dans nos mots, nous dirions qu’elle favorise le dépassement vers une vie qualitativement plus haute. La continence sexuelle constitue donc un signe de la vie à venir, une anticipation prophétique qui pointe en direction du développement futur de la substance vivante.

— Serait-ce à dire que les futurs organismes ne seront pas sexués ?

— La sexualité vise la reproduction, n’est-ce pas ? Parce qu’elle ne par­vient pas encore à soutenir indéfiniment la vie des organismes des trois premiers niveaux, la substance vivante a inventé la reproduction pour per­mettre la continuation du fluide vital dans une nouvelle génération et assurer la perpétuité relative de l’héritage génétique. Grâce à la reproduc­tion, la substance vivante a pu transmettre ses réussites biologiques d’une génération à l’autre et poursuivre son essor spatio-temporel.

Mais lorsque l’objet de ce périple aura été saisi, c’est-à-dire lorsque l’organisme immortel aura été synthétisé, la reproduction ne sera plus un avantage. L’immortalité rendra la sexualité vétuste et dépassée. Je ne dirai pas que la différentiation sexuelle aura complètement disparu du profil psychologique et physique des personnes mais les organes de reproduc­tion, n’étant plus utiles ni exercés, seront à tout le moins atrophiés comme des vestiges d’une fonction révolue.

— Mais qu’est-ce qui permet d’induire que l’immortalité sera réalisée lors d’une prochaine étape de l’évolution ? Ne pourrait-on pas pré­sumer plusieurs autres niveaux à franchir ? Ou, à l’antipode, pourquoi cette immortalité ne pourrait-elle pas se réaliser par des moyens hu­mains ? La science génétique a accompli récemment d’étonnantes per­cées qui permettent d’espérer que, dans un proche avenir, des substan­ces médicinales parviendront à arrêter le vieillissement des cellules, ce qui déboucherait à brève échéance sur une longévité de plusieurs siècles, et même, éventuellement, sur une relative immortalité.

— Sans doute voudrez-vous admettre, cher Albert, que l’immortalité artificielle à laquelle l’humanité pourrait accéder, grâce aux avancées des sciences, fait problème. Dans le meilleur des cas, la drogue qui empêche­rait le vieillissement ne prémunirait pas contre la mort par accident ou à la suite d’une maladie infectieuse sans remède.

D’autre part, l’on est en droit de s’interroger sur la valeur d’une pro­longation de l’existence dans la condition actuelle de l’humanité. Pour une grande partie des humains, la pilule qui perpétuerait la jeunesse des tissus ne parviendrait qu’à prolonger indéfiniment des conditions croissantes de misère, d’injustice et de souffrance. Les pauvres auraient-ils droit à cette immortalité artificielle au même titre que les riches ? Et permettrait-on aux criminels, en les immortalisant, de multiplier à l’infini les actes négatifs ? Faudrait-il instituer un système de discrimination, envers et contre les char­tres des droits et libertés, pour éliminer les immortels indésirables d’une manière ou d’une autre ?

Avant de songer à s’immortaliser, l’humanité devra résoudre de sérieux problèmes sociaux et se libérer du terrible déficit moral qu’elle traîne com­me un boulet enchaîné à ses pieds. Car l’immortalité, dans les conditions actuelles, constituerait un cadeau empoisonné qui, à n’en pas douter, créerait plus l’enfer que le Ciel sur la Terre. Sans exigence de dépassement vers une vie morale plus haute, sans référence à une fin transcendante, l’immortalité obtenue par des prouesses scientifiques aboutirait à un hor­rible cauchemar, à un lamentable désastre. À tout le moins, elle ferait avor­ter avant terme l’essor de la substance vivante et torpillerait son projet de harnachement de la matière pour en vaincre l’entropie.

C’est en cohérence avec la substance vivante à l’intérieur de chacun, et non en direction de la substance matérielle extérieure des scientifiques, qu’il faut se tourner dans la quête d’immortalité.

— Mais pourquoi devrions-nous attendre que l’immortalité survienne inopinément ? N’avons-nous pas le devoir d’agir lorsque nous avons le pouvoir de changer les choses ? Aux yeux de la plupart des gens, la quête spirituelle d’immortalité peut paraître utopique et manquer de réalisme.

— On peut croire en la capacité de la substance vivante de parvenir à l’immortalité. Cette substance a été capable de produire l’extraordinaire réussite de l’être humain dans toute sa splendeur. Elle est encore capable de le faire évoluer jusqu’à ce qu’il se fixe dans un perpétuel présent positif et bienheureux.

Pour y parvenir, elle doit trouver des sujets qui se laissent emporter et propulser par son dynamisme vivifiant à l’assaut du dernier obstacle qui se dresse sur la route du perpétuel présent. Trois niveaux ont été bouclés jusqu’ici. Il reste à parcourir le quatrième. Un niveau auquel la vie spiri­tuelle donne accès.

Déjà, l’on peut apercevoir chez des hommes et des femmes qui ont atteint un haut degré de vie, des signes avant-coureurs de l’éventuelle vic­toire que la substance vivante doit emporter à la fin pour pleinement domi­ner la matière. Les grandes religions ont enregistré et documenté dans la vie de leurs saints et saintes des phénomènes, inexplicables pour notre niveau rationnel. On les dit d’origine surnaturelle.

Entre autres, le phénomène de lévitation est particulièrement parlant pour notre propos parce qu’il démontre un début de maîtrise de la force de gravité. Certains mystiques parcourent inexplicablement de grandes dis­tances en s’envolant dans les airs ; d’autres s’élèvent de terre dans leurs extases, parfois même jusqu’à la hauteur des arbres, rapportent les hagio­graphes. Ce sont là des signes que la discipline ascétique que ces mystiques se sont imposée leur a entrouvert la porte du quatrième niveau. De sorte qu’ils ont pu, à des degrés divers et sans doute inconsciemment, participer au harnachement de la gravitation.

Ce qui dévoile encore à cet égard les réalités du quatrième étage, c’est le fait que plusieurs religions soutiennent que leurs archétypes mystiques, les grands fondateurs, ont été ascensionnés en conclusion de leur vie. Énoch, Élie, Jésus, la Vierge Marie auraient été emportés dans l’espace céleste avec leur corps. Que l’on croit à de tels événements ou qu’on mette en doute leur historicité, leur seule mention indique dans quel univers se situe la vie religieuse lorsqu’elle est vécue jusqu’en ses conséquences ultimes et vers quelle fin elle se dirige.

— Ne devrait-on pas interpréter ces croyances dans un sens purement symbolique ? À cette époque, l’on identifiait le Paradis au firmament. C’était alors une croyance que pour rejoindre Dieu, il fallait s’élever dans les airs. Mais depuis quelques siècles, plus personne, ou presque, ne croit que la maison de Dieu est sise quelque part derrière les nuages.

— Ces conceptions antiques ne sont peut-être pas aussi dénudées de fondements que notre scepticisme moderne pourrait nous le laisser croire ! Il suffit de passer en revue les habitats des divers niveaux de la Maison de la vie pour s’en rendre compte. Car le contrôle que la substance vivante exerce graduellement sur la matière a pour effet une progression de l’en­vergure de l’habitat.

Les unicellulaires occupent un espace microscopique, n’est-ce pas ? Leur habitat par rapport à la dimension planétaire est infinitésimal. En contraste, l’espace vital des multicellulaires est considérable et d’une por­tion croissante de l’environnement terrestre. Chaque espèce y occupe une niche particulière en lien avec le développement des organes d’adaptation et du niveau qualitatif. Parvenue à la conscience réfléchie, la substance vivante dépasse en l’homme les niches habitables pour asseoir son développement sur la planète entière. C’est tout un bond qui est ici accompli. Alors, cher Albert, dites-moi, que pressentez-vous pour la prochaine étape comme habitat de la conscience unifiée ?

— Feriez-vous allusion au cosmos ?

— J’aime mieux désigner l’habitat de la conscience unifiée au quatrième étage de la Maison de la vie par le terme univers plutôt que celui de cos­mos. La nuance est significative. Le cosmos réfère à cette immense étendue à l’extérieur des limites planétaires. Un espace qui contient toute la matière qui existe, depuis les fines poussières intergalactiques jusqu’aux astres les plus gigantesques. Et si la substance vivante doit un jour parvenir à harnacher complètement la matière, cela implique, certes, l’exploration du cosmos, une aventure d’ailleurs déjà amorcée à notre époque.

Mais il n’y a pas que ça. Nous avons assez dit que la somme des élé­ments de la matière ne donnait pas toute la réalité. Elle n’en fait que la moitié. L’autre moitié est intangible. C’est-à-dire qu’elle est immatérielle. On ne peut ni la voir ni la toucher parce qu’elle est l’intérieur des choses. Une intériorité, par définition même, qu’on ne peut appréhender par l’exté­rieur. Le terme univers, dans l’optique de la philosophie quantique, englobe ces deux moitiés de réalité. L’univers, ce n’est pas l’extériorité sans l’intériorité, ce n’est pas la matière sans la vie mais les deux au même titre et dans une égale proportion.

Lorsque je soutiens que l’habitat de la conscience unifiée est l’univers, j’implique donc que cette conscience englobe le tangible et l’intangible, le visible et l’invisible. Le nouvel organisme, donc, ne se constitue ni exclusi­vement dans la dimension cosmique ni dans une sphère de spiritualité acquise au prix d’un débranchement complet des réalités matérielles.

—Je n’arrive pas à imaginer comment un tel organisme pourrait coha­biter avec nous ? S’il existait déjà, ne serait-il pas accessible aux sens ?

— Vous comprendrez, cher ami, que les hypothèses à cet égard sont nombreuses et d’envergure considérable. Il faudra nous contenter d’en passer superficiellement quelques-unes en revue, quitte à approfondir plus tard, lors de la série d’entretiens que je réserve pour ma chère Ève.

Pour avancer de ce côté, nous devons nous référer à l’extraordinaire puissance de synthèse de la substance vivante. C’est cette faculté, comme nous l’avons vu, qui préside aux passages d’un niveau à l’autre de la Maison de la vie. Elle permet d’effectuer des bonds qualitatifs prodigieux mais sans pourtant rompre la continuité évolutive du tissu vivant.

Rappelons que cette faculté se manifeste d’abord lors du passage de la matière inanimée à la matière animée, puis lors de la transition entre le monde des unicellulaires et celui des pluricellulaires. Au tout début, la distance entre ces deux mondes ne semble pas radicale. Il y a continuité dans le tissu vivant. Il est donc possible de suivre les étapes du passage d’un organisme d’une seule cellule à un organisme formé de plusieurs et d’observer déjà dans l’évolution des unicellulaires les préparatifs de la transition. L’on peut toutefois apercevoir l’énorme gouffre qui sépare ces deux mondes et apprécier l’étonnant périple que la puissance de synthèse a mis en action lors du déplafonnement du premier étage en comparant des organismes plus évolués, ceux parvenus au sommet de chaque niveau.

Par exemple, entre une amibe et un primate, la distance est inestimable, n’est-ce pas ? Elle ne se limite pas à l’ordre physique de grandeur, bien qu’elle soit incluse. Elle concerne surtout la qualité de vie qui se répercute sur l’intensité de la conscience de chaque organisme. Ce canyon qualitatif a pu être franchi grâce à la capacité de la substance vivante d’accumuler les données positives obtenues lors de l’évolution des unicellulaires jus­qu’à ce qu’il soit possible de résumer synthétiquement ce niveau tout entier dans un organisme formé de plusieurs cellules.

— Si nous devions appliquer le même principe à la transition suivante, en toute cohérence avec l’image des poupées russes que vous avez utilisée, l’homme ne devrait-il pas être formé d’une synthèse de pluri­cellulaires ?

— Dans un sens, nous pouvons dire qu’il l’est, à la condition de ne pas donner une interprétation physique de cette synthèse. Il ne faut pas oublier que l’évolution s’intériorise dans le règne animal en contraste avec le règne végétal qui, lui, extériorise la substance vivante. Cette intériorisation sus­cite chez les espèces une conscience sensible plus ou moins grande. Si bien qu’il est possible de mesurer le degré d’évolution par la largeur de perspec­tive que les sens et la forme corporelle procurent sur l’environnement. À partir de la conscience animale, la faculté de synthèse de la substance vivante déplafonne le monde des pluricellulaires en faisant éclater les limi­tes qu’impose la perception des sens. Elle fait accomplir une volte-face à la conscience par un retour sur elle-même qui suscite la liberté et la rationalité.

Cette évolution donne à l’organisme humain la possibilité de dépasser les niches environnementales des diverses espèces pour assumer toutes les conditions terrestres. Ce qui ne manque pas de se répercuter au plan phy­sique. Car la substance vivante peut alors faire l’économie d’organes spécifiques d’adaptation. Libérée des contingences matérielles dans son expression, elle peut alors investir son énergie dans le perfectionnement esthétique de la forme et un affinement du tissu cellulaire. De sorte que la beauté du corps humain atteint un degré sans précédent qui ne souffre aucune comparaison avec l’une ou l’autre espèce du règne animal.

— Faut-il présumer que la beauté de l’organisme futur ne souffrira pas non plus de comparaison avec la structure humaine ?

— Certes, nous le pouvons. Mais nous avançons ici dans un monde qui dépasse non seulement la rationalité mais aussi l’imagination. Nos con­cepts nous permettent à peine d’effleurer cette réalité dont notre intelli­gence peut vaguement apercevoir les contours dans le flou du devenir.

— Par quel processus, selon vous, cette présumée faculté de synthèse va éventuellement déplafonner l’humanité pour former le “surhomme” à venir ?

— Bien que le terme de “surhomme” ne convienne guère pour identifier le nouvel organisme, une chose est sûre, c’est qu’il naît de l’humanité. Car il n’existe pas d’autres espèces en compétition avec l’homme que la sub­stance vivante pourrait éventuellement propulser au quatrième étage. J’irai plus loin encore. Non seulement le nouvel organisme sortira-t-il de l’hu­manité comme un enfant mis au monde par sa mère mais les humains eux-mêmes en formeront le tissu biologique. Car le monde de la conscience unifiée constitue la synthèse des consciences humaines. Une synthèse qui n’est toutefois pas synonyme de fusion des personnes. Le nouvel orga­nisme devra aussi intégrer la dimension corporelle des êtres humains.

Chaque conscience humaine est en effet unique. Ce caractère d’unicité découle de l’expérience d’être. Il se constitue en synergie avec un corps doté de sens et dont le développement du cerveau donne accès à la ratio­nalité. Le nouvel organisme ne se constituera pas aux dépens de la struc­ture humaine. Au contraire, il la soulèvera à un niveau idéal de perfection­nement. La dimension physique de l’être humain est inaliénable. Les cons­ciences humaines intégrées à la synthèse du quatrième niveau ne seront pas désincarnées. Elles entraîneront forcément avec elles le substrat orga­nique sur lequel elles s’appuient.

— Comment cela est-il possible ?

— L’image du corps humain formé de milliards de cellules permet d’évo­quer l’organisme futur qui unifiera synthétiquement, à une échelle de gran­deur inconcevable pour notre niveau, la multitude des humains. Cette comparaison est plus qu’une simple analogie qui n’aurait aucune connota­tion physique. Dans un multicellulaire, l’intégralité de la structure cellu­laire est-elle absorbée ou dissoute ? Elle est plutôt transformée de manière à s’intégrer au nouvel ensemble, n’est-ce pas ! La synthèse ne détruit pas la structure antérieure. Elle l’ennoblit en lui permettant d’accéder à un niveau supérieur. De même, la synthèse du quatrième niveau ne fera pas disparaître les êtres humains. Elle les transformera pour les hausser à un niveau supérieur, d’où ils accéderont, au terme du processus évolutif, à l’immortalité.

— Ouf ! Il est bien difficile d’imaginer des organismes immortels de quatrième niveau dont l’habitat serait l’univers même ! Ce n’est pas très réaliste, me semble-t-il.

— Le fait qu’ils soient si difficiles à imaginer indique peut-être qu’ils ne sont pas une création de l’imagination mais découlent bien de la structure de la réalité. Je profite de votre observation pour souligner une particularité qui risque de faire éclater encore plus votre imagination. Vous avez utilisé le pluriel en vous référant aux « organismes immortels de quatrième ni­veau ». Dans un certain sens, vous avez raison puisqu’une multitude d’hu­mains sont impliqués dans cette synthèse. On doit toutefois insister sur le fait que notre planète ne produira qu’un seul organisme à ce niveau.

On peut le déduire des trois bonds qualitatifs successifs accomplis par la substance vivante dans son parcours. Au premier niveau, parvenue au point de saturation de l’espace planétaire, la substance vivante a dû syn­thétiser tous les acquis du monde tout entier des unicellulaires pour débou­cher sur le monde des multicellulaires. Au deuxième palier, une multitude d’espèces a contribué à la synthèse de l’unique espèce du troisième, le genre humain. Au troisième, une multitude d’individus humains de la même espèce participe à la formation du quatrième. Il s’ensuit qu’au quatrième, un seul organisme apte à se maintenir dans le perpétuel présent résumera la démarche du troisième et, conséquemment, de l’évolution totale de la substance vivante sur notre planète.

— L’évolution qui a créé les myriades d’organismes depuis quatre mil­liards d’années déboucherait sur un seul organisme ?

— Dans l’hypothèse que la vie ait pu se développer sur d’autres planè­tes, la substance vivante s’est forcément déployée ou se déploiera éven­tuellement selon la même structure d’évolution. Tout comme la matière, la substance vivante est partout pareille et répond aux mêmes exigences. Elle obéit aux mêmes lois universelles. Et comme il est vraisemblable que dans cet immense univers, la substance vivante ait pu émerger sur une my­riade de planètes, nous pouvons estimer hautement probable qu’un certain nombre d’entre elles aient pu déjà boucler un cycle complet d’évolution et s’être fixées définitivement en une conscience unifiée. Une telle cons­cience, pour emprunter son nom au vocabulaire spirituel, est un Ange.

< article_précédent _______________________________________________ article_suivant >


Si l’on est motivé par une conception réductrice de la réalité à la matière et que l’on met toute sa confiance dans les exploits scientifiques du génie humain, l’on se trouve devant un très grave danger ! Comme nous l’avons observé, l’avenir est bouché de ce côté, les limites planétaires sont atteintes et il n’y a aucun signe d’une trouée possible dans la ligne de l’horizontalité.
Si l’on s’ouvre à la dimension intérieure et que l’on inscrit son développement dans l’axe de la croissance verticale, le devenir de l’humanité peut apparaître beau­coup plus réjouissant. Au point même de permettre une interprétation pro­digieusement positive de l’impasse dans laquelle stagne l’humanité.
La réorientation de la conscience lance la structure humaine sur une voie évolutive de dépassement de la condition actuelle vers une vie plus haute et plus intense, dépassement dont la vie spirituelle est la clef. Les principales religions qui ont inspiré l’humanité témoignent toutes implicitement que l’homme peut et doit être dépassé. L’humanité est en marche sur une route qui va au-delà d’elle-même.
L’homme n’est qu’un maillon de la chaîne inachevée de cet incomparable phénomène de vie qui traverse de part en part l’espace-temps de la matière. S’il était le dernier mot du processus évolutif comme il a tendance à le croire, l’on assisterait, dans le meilleur des scé­narios, à la matérialisation d’une humanité égarée, errant sans but dans les sombres dédales d’un destin absurde.
Réinterprétées dans l’optique de la philosophie quantique, les doctrines reli­gieuses peuvent nous informer sur ce qu’il est possible de pressentir à propos de l’au-delà de l’homme. Et ceci, même si la culture matérialiste actuelle, à la solde du scientisme philosophique, déclasse généralement les concepts religieux en les mettant indistinctement sur le compte de la superstition ou de la fabula­tion. L’on peut estimer, au contraire, que le regard spirituel donne accès à une connaissance qui mérite considération à un titre plus éminent encore que le savoir scientifique.

2 réponses à “19- Le quatrième en vue”

  1. Les postulats fondateurs de la philosophie quantique, soutenus au début de cette démarche, commencent à donner du fruit. On avance ici à grands pas vers des trésors de sens. D’aucuns n’auraient cru possible de déboucher sur ce vaste paysage de la réalité bipolaire. Le discours est cohérent et entrouvre une porte insoupçonnée d’évolution, tant pour les sciences que pour les religions.
    L’on peut cependant critiquer le côté répétitif de cette présentation. Du même souffle, l’on peut aussi l’expliquer par le besoin de rester collé au schéma proposé de l’évolution de la vie. Il fallait ancrer la prospective du quatrième niveau sur du concret, fusse-t-il réinterprété à la lumière des paramètres identifiés jusqu’ici dans cette quête de sens.
    Il demeure que pour un lecteur imbu de présupposés d’ordre religieux ou scientifique, ce texte peut laisser sur sa faim. On a l’impression de parcourir le sujet avec des bottes de sept lieux. Des discussions de grande envergure sont parfois couvertes en un court paragraphe. On s’attendrait à des développements menant à des options plus explicites d’un côté ou de l’autre.
    Mais là encore, l’auteur évite de brûler les étapes. Il ne veut pas risquer le décrochage de l’interlocuteur ni conclure à quoi que ce soit avant d’avoir exposé jusqu’au bout sa vision. Il maintient la discipline de sa démarche, quitte à réserver pour la fin son engagement décisif envers la vérité. Donc, partie remise !

  2. Entretien complexe et audacieux. Pour en écrire un commentaire pertinent, il faudrait que je m’y plonge beaucoup plus longuement et avec beaucoup plus d’attention. Je partage tout de même, en vue de notre échange, quelques réactions spontanées.

    Cet entretien nous invite à considérer avec sérieux les conséquences de la prise en compte de la dimension évolutive de la matière et de la vie. Le regard sur le passé et le présent nous aide à entrevoir l’avenir. Ici, l’avenir entrevu est celui que notre auteur appelle « le 4e niveau ».
    La présentation qu’il fait du « surhomme » ou, mieux encore, de la « sur humanité » à partir de la page 230 rejoint ma propre thèse. « L’image du corps humain formé de milliards de cellules permet d’évoquer l’Organisme futur qui unifiera synthétiquement, à une échelle de grandeur inconcevable pour notre niveau, la multitude des humains » (p. 231). De même que les atomes s’unissent pour former des molécules (tout en demeurant eux-mêmes), de même que les molécules s’unissent pour former des cellules (tout en demeurant elles-mêmes), de mêmes que les cellules s’unissent pour former un organisme vivant (tout en demeurant elles-mêmes), de même les humains s’uniront pour former l’organisme humain de « conscience unifiée ». Pour le chrétien, ce sera le Corps du Christ.

    Un autre aspect très proche de la foi chrétienne est celui de la proximité. « Car la proximité d’un tel passage interpelle les consciences dans leur intériorité. Elle les incite à une remise en question urgente – ce que les diverses religions nomment conversion – en vue d’appréhender la dimension vitale de la réalité. Ce qui se traduit par une ouverture décisive à la dimension spirituelle » (p. 222). Jésus disait : « Le Royaume de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ».

    J’ai souvent mentionné que la personnification à outrance de la « substance vivante » en tant qu’agent de l’évolution me fatigue. Au bas de la page 231, une petite phrase me réconcilie un peu : « Tout comme la matière, la substance vivante est partout pareille et répond aux mêmes exigences. Elle obéit aux mêmes lois universelles ». Il y a donc, quelque part, un législateur qui agit et auquel « la substance vivante » obéit.

    La question de l’immortalité est une question intéressante. Ici, il semble bien que Paul et Albert ne parlent pas du tout le même langage. En fait, depuis le début de son œuvre, la question du désir de la substance vivante à vivre éternellement est constamment présente. Il ne s’agit pas tellement d’immortalité mais bien plutôt d’un éternel présent. En fait, c’est la question du « temps qui passe » qui est ici posée. Le temps qui passe et qui se mesure appartient à la matérialité car, comme notre auteur le redit sans cesse, la vie, elle, ne subsiste que dans le présent. Ainsi, l’éternel présent est un fait. Cela existe déjà. Il nous reste à y entrer. Nous sommes ici encore dans la question du déploiement d’une potentialité pré-existante que j’ai présenté dans mon commentaire de l’entretien précédent.

    Évidemment, la conclusion qui introduit l’ange sans crier gare étonne. C’est le moins qu’on puisse dire. Surtout qu’il apparaît ici comme un être extra-terrestre. Bon. Nous y reviendrons certainement dans les prochains entretiens.

Laisser un commentaire