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Ève : Le récit de la chute serait donc, selon vous, un mythe, fût-il porteur de sens ! L’Église insiste pourtant sur son caractère historique.
— Nous pouvons croire que la chute s’est produite d’une manière ou d’une autre. Pour s’en convaincre, il suffit d’en observer les effets dans notre monde contemporain. On ne doit pourtant pas oublier que c’est l’humanité de tous les temps et de toutes les cultures qui est affectée par cette faute perpétrée dans un contexte que nous ne pouvons connaître objectivement. L’Éden n’est pas un lieu géographique de notre planète, comme nous l’avons dit. Conséquemment, est-il pertinent d’interpréter le récit qui s’y déroule comme un événement historique ?
Reprenons la parole déjà citée de Jean-Paul II.
Il convient de bien délimiter le sens propre de l’Écriture en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu’il n’est pas dans son intention de dire (Discours à l’Académie pontificale des sciences, 1996).
Il me semble assez évident que l’insistance sur l’historicité relève précisément de ces « interprétations indues » et que l’auteur du récit n’est pas du tout concerné par la vérité historique dans le sens que nous entendons à notre époque. Il est plutôt motivé par le souci d’exposer le drame intérieur, le déchirement fondamental à la racine de la conscience humaine. Ici, nous entrons de plein fouet dans le domaine réservé de l’intériorité. C’est de ce monde invisible dont l’auteur biblique parle. Et il a d’énormes choses à nous communiquer. Ses affirmations dépassent considérablement le sens littéral de son récit, les images qu’il utilise pour l’illustrer et les personnages qu’il met en scène.
Pour interpréter correctement son discours, il pourra s’avérer utile de nous référer d’abord à un graphique créé lors de mes échanges avec Albert. Il s’intitule Structure de la conscience animale. Cette illustration permet de comprendre comment la substance vivante a pu prendre la route d’une conscience sensorielle de plus en plus large et englobante. Elle préparait ainsi le déplafonnement des sens pour permettre l’accès à la conscience rationnelle.
— Bien qu’il puisse y avoir un axe de continuité entre le contact sensoriel de l’animal et la connaissance rationnelle, il me semble, à ce que je peux concevoir, que les deux ne sont pas du même ordre. Ne pourriez-vous pas expliciter ce qui les distingue ?
— J’y arrive ! Lorsque l’animal fait face à une réalité, il ne perçoit que la forme extérieure des réalités. Ce qui caractérise sa conscience et en marque les limites, c’est l’immédiateté de ses perceptions. Devant un arbre, l’animal ne sait pas ce qu’est un arbre car ses connaissances se limitent à la surface des choses. Parmi les choses perceptibles par les sens, il n’existe que des choses isolées sans liens explicitent entre elles.
Tandis que la conscience humaine extrait de la réalité des connaissances qui dépassent la perception. Par exemple, elle conclura de la forme perçue qu’il s’agit d’un arbre. Et encore, de telle espèce particulière.
La perception immédiate ne peut rien savoir de la classe, de la catégorie, du genre ou de l’espèce. Pour y accéder, il a fallu qu’une faculté spéciale tire de la perception des caractères communs à des réalités du même genre auxquelles elle attribue un nom. Si bien qu’à chaque fois qu’elle rencontrera une chose munie d’un tronc, de branches, de racines, de feuilles, elle pourra dire que c’est un arbre. Et en scrutant la chose plus profondément encore, elle se rendra compte que parmi tous les arbres qu’elle peut observer, il en existe qui ont des caractères communs. La couleur et la texture de l’écorce du tronc, la ramure, le dentelé du feuillage ainsi que d’autres caractéristiques lui feront conclure que voilà un érable.
Les genres, les espèces, les catégories sont des réalités invisibles, impalpables, intangibles. Ce sont des concepts induits de la réalité par la raison. Les termes que la rationalité utilise pour désigner les choses décrivent — comme en plongeant au-dedans de leur surface — leur essence, leur profondeur interne.
— Je suis bien d’accord avec ce point de vue. Ces caractères sont invisibles mais sont pourtant bien réels. Ceux qui tentent de réduire la réalité à la matière ne peuvent avancer d’arguments ni enregistrer le moindre constat sans devoir recourir à l’abstraction sans laquelle nous ne pouvons pas connaître le fondement des choses.
— Le simple fait de nommer est en soi une démonstration que la conscience doit absolument dépasser le perceptible pour accéder au monde invisible de la rationalité. Reste à savoir comment elle y parvient. Je propose ici un graphique qui fait suite à Structure de la conscience animale. Il illustre le passage de la conscience animale à la conscience humaine et, conséquemment, marque la transition entre la connaissance sensible et la connaissance rationnelle.

Ce graphique montre deux organismes enracinés (B) dans le même terreau vital (A) : l’animal (C) et l’humain (D). À remarquer cependant que la substance vivante y est illustrée sous la forme générale d’une courbe ascendante ondulée. Il m’apparaît important de souligner ainsi la continuité de l’un à l’autre organisme pour montrer que s’il existe un changement radical de niveau entre l’animal et l’homme, la substance vivante demeure sans rupture tout au cours de son parcours évolutif. À chaque bond qualitatif, il y a solution de continuité.
Nous avons précédemment étudié le rapport inversement proportionnel entre le comportement instinctuel (E) de l’animal (C) et le comportement conscient (I) conditionné par les sens (G). Nous pouvons maintenant nous demander ce qui est arrivé lorsque la substance vivante est parvenue, dans le règne animal, au bout du potentiel des sens. Pour continuer sa recherche d’un élargissement de plus en plus ample de la conscience, elle a dû dépasser les limites du sensible, n’est-ce pas ? Elle a fait accomplir à la conscience une trajectoire au-delà des sens. Ainsi, elle a propulsé la conscience dans l’univers des catégories imperceptibles : soit la sphère rationnelle.
Un tel dépassement implique l’éclatement de l’instinct animal et le déplafonnement de la sensorialité. De sorte que, parvenue aux limites du sensible jusque-là tournée exclusivement sur la matière, la conscience fait volte-face (J). Elle rebondit de l’extérieur sur elle-même. Elle se réfléchit sur le miroir du MONDE et devient consciente de son intériorité : JE SUIS. Elle accède à l’invisible en constatant : JE SUIS vivant, JE SUIS porté par la VIE, j’existe.
Cette découverte de la dimension vitale suscite le MOI (F) dans l’espace laissé vacant par l’instinct éclaté. JE SUIS MOI, JE SUIS autonome, JE SUIS libre. Tandis qu’en place et lieu des sens externes de l’organisme animal (G) se développera le rapport rationnel à la réalité extérieure (H). La capacité rationnelle opère un tel recul, une telle distance des perceptions sensibles qu’elle saisira des liens invisibles entre les réalités, ce qui permettra de les classer en catégories, espèces, genres, etc. Cohérence qu’elle sera amenée à formuler en raisonnements et, éventuellement, à articuler en discours.
Or, pour en venir enfin au récit biblique de la chute d’où nous sommes partis pour effectuer cette analyse préliminaire, c’est autour de la formation du MOI que s’est joué le drame originel. Et à cet égard, le récit biblique de la chute originelle fournit une clef majeure pour la compréhension du scénario que l’accession au niveau humain a enclenché.
— Le passage de la conscience sensible à la conscience rationnelle, soutenez-vous, implique la formation du MOI dans l’espace intérieur laissé vacant par l’éclatement de l’instinct animal. L’ego n’est-il pas généralement perçu comme une réalité plutôt péjorative et même, moralement litigieuse ?
— Commençons par préciser notre terme pour le distancer du vocabulaire courant et des diverses utilisations psychologiques qui en sont faites. Le MOI dont je parle résulte de l’exercice d’une faculté exclusive à l’être humain : la rationalité. À sa racine, le MOI n’a rien de négatif même si l’on se doit de constater aujourd’hui son exploitation abusive dans les relations humaines. Nous en viendrons éventuellement à mettre le doigt sur la cause de l’enflure du MOI. Pour la clarté de notre propos, nous pouvons désormais identifier ses dérives par le terme que vous avez utilisé : l’EGO.
Tout comme les sens, le MOI répond à une nécessité biologique. Il émerge dans une conscience qui, après avoir constaté l’existence des réalités accessibles aux sens, se retourne sur elle-même pour prendre conscience de son existence propre. D’abord, JE SUIS ! Vient ensuite JE SUIS MOI !
Le MOI corrobore l’accession au troisième palier de la Maison de la vie. Puisque la conscience réfléchie constitue une avancée précieuse de l’évolution, il s’ensuit que l’avènement parallèle du MOI est une composante estimable de ce progrès.
— Mais comment le passage du sensible au rationnel, et donc de l’émergence du MOI, a-t-il pu s’effectuer à l’origine ? Aurait-il été spontané et obtenu en un instant chez un premier homme parvenu à l’âge adulte ?
— L’acquisition de la rationalité n’est pas instantanée. L’enfant y accède à la suite d’une croissance étalée sur une période plus ou moins longue. Sa conscience doit franchir plusieurs étapes pour accéder au monde de la connaissance rationnelle. Ce développement, toutefois, ne s’arrête pas à six ou sept ans, l’âge réputé d’accès à la raison et à la responsabilité morale. Il se poursuit encore chez l’adolescent et l’adulte qui assimilent des données utiles pour une plus grande maîtrise de la rationalité.
Il en est de même pour le MOI. Sa formation est graduelle. Avant de pouvoir dire MOI, l’enfant très jeune, avec les rudiments de langage qu’il possède, parle de lui-même à la troisième personne. Il se désigne par son nom ou par un “il”, comme s’il se percevait de l’extérieur. Il projette une image objective de lui-même. Il ne possède pas encore l’infrastructure biologique de la cognition rationnelle qui permet l’identification de soi à l’intérieur du corps.
Tant que l’enfant n’a pas pris conscience de son intériorité, il ne sait pas comment se distinguer des réalités environnantes. Éventuellement, il en vient à se voir comme un être autonome et distinct, un “JE” (intérieur) plutôt qu’un “IL” (extérieur). De là, la croissance de la personnalité se poursuivra normalement durant l’âge adulte. L’on prend note de ce développement lorsque l’on constate qu’une personne s’épanouit dans une activité ou une profession. On dira alors qu’elle (son MOI) se réalise pleinement.
Eh bien ! très chère Ève, ce qui est vrai pour le développement de la personnalité s’applique aussi bien à l’histoire biologique du genre humain. L’entrée de l’humanité dans la sphère de la rationalité a pu s’effectuer dans la préhistoire selon un certain processus, repris à petite échelle durant la croissance de chaque individu de notre espèce. La lignée biologique dont est issue l’humanité a pu être graduellement dotée du potentiel de la rationalité. Mais à ce stade antérieur, les hominiens ne pouvaient encore l’exercer tout comme le jeune enfant dont les neurones cérébraux ne sont pas suffisamment reliés entre eux pour permettre l’accès à la raison. Et tout comme l’enfant dit son premier JE SUIS pour ensuite s’identifier comme un MOI parmi les autres, de même le premier homme a d’abord pris conscience de son existence avant de réaliser secondairement son autonomie et l’émergence de sa personnalité grâce à sa libération des contraintes de l’instinct animal.
— L’idée d’une accession graduelle de l’humanité à la rationalité me plaît ! Elle postule une continuité entre le développement individuel et collectif qui me semble toutefois difficilement conciliable avec le récit de la création.
— Je pense que nous devons éviter de tomber dans le piège d’un concordisme superficiel. Tenter d’ajuster le deuxième chapitre de la Bible au scénario de la préhistoire ne nous permettrait guère d’avancer dans la connaissance. La Genèse ne vise pas à répondre aux questions sur nos origines biologiques. Plutôt, elle dresse la scène du drame originel de l’humanité. Elle dépeint le profil subjectif de la nature humaine et non le contexte tout extérieur de son émergence. On se doit donc de chercher sa vérité dans l’axe intérieur de la réalité et non comme une donnée extérieure, un reportage journalistique de l’événement initial de l’humanité.
Plaçons-nous dans la perspective de l’auteur. Demandons-nous ce qu’il veut communiquer ? Comment le traduire dans un langage qui réponde à nos préoccupations d’aujourd’hui, à notre questionnement philosophique, à nos convictions religieuses ? Devons-nous croire qu’il a voulu rapporter des faits historiques que nous pourrions dater quelque part entre notre époque et plus ou moins quatre à sept millions d’années, selon les données de la paléontologie ?
Poser la question, c’est demander quand l’homme a commencé à se distinguer de la condition animale pour assumer la condition humaine. Ce passage a-t-il été subit ou graduel ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’auteur biblique ne s’est pas préoccupé de ce questionnement. Il lui était totalement étranger. Il ne soupçonnait même pas que ces questions puissent un jour être posées. Il n’a donc pu vouloir y répondre à l’avance par l’affirmation de l’historicité telle que nous l’entendons aujourd’hui.
La pointe de son récit n’est pas du tout orientée dans cette direction. Il vise à rendre compte du drame de l’homme, sujet à la souffrance, au mal et à la mort. Il s’adresse à la subjectivité humaine. L’un de ses principaux enseignements à cet égard, c’est que le Créateur n’a pas créé ni voulu le mal moral qui affecte la condition humaine. C’est notre espèce qui en est en définitive responsable.
Cela dit, l’on peut trouver dans ce récit de parlantes confirmations de nos avancées sur l’avènement de la rationalité et la naissance consécutive du MOI. Notons d’abord que l’auteur introduit sa narration par une affirmation surprenante. Il part d’un tout autre point de vue que le récit des sept jours de la création du premier chapitre.
Au temps où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de la terre et arrosait toute la surface du sol (Gn 2, 4 b-6).
Traduisons. L’auteur campe son récit à un niveau de réalité antérieur à l’émergence de la vie sur notre planète. Dieu n’a pas encore créé d’organismes vivants, explique-t-il, parce qu’il n’a « pas fait pleuvoir sur la terre ».
La pluie qui tombe du ciel, c’est l’élément fécondant qui vient de Dieu, c’est le pouvoir créateur de la grâce divine. Cet élément céleste a le pouvoir de faire surgir, à partir de la matière terrestre, les réalités vivantes, soutient-il implicitement.
La deuxième raison invoquée pour expliquer ce désert originel : « il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ». Comme si la création de la nature dépendait de l’existence de l’homme. C’est que l’humanité est appelée par vocation à se faire collaboratrice de l’acte créateur en introduisant de l’ordre dans la nature “sauvage” pour la cultiver, la faire fructifier (cf. Gn 1, 28).
Mais « un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol ». Il n’y a pas que la sphère céleste qui soit principe de fécondité. Le sol aussi, c’est-à-dire la matière, est porteur d’un autre élément essentiel sans lequel la vie ne pourrait survenir. L’on assiste ici à l’union du Ciel et de la Terre, de la substance vivante et de la matière, un mariage obligé pour qu’en émerge la vie planétaire et, particulièrement, la vie humaine.
« Alors, Dieu Yahvé modela l’homme avec la glaise du sol » (v. 7). C’est à partir du sol imprégné par l’eau terrestre (la glaise) que l’homme est modelé. Ce qui indique que le corps est tiré des potentialités de la matière. La création du corps humain s’effectue donc par les causes secondes. Ces causes ne sont pas dues au hasard, toutefois. Dieu les a ordonnées en édictant les lois qui les gouvernent de sorte qu’il a le pouvoir de s’en servir pour accomplir ses desseins. Ainsi, le corps humain demeure toujours l’œuvre de Dieu.
Il n’en n’est pas de même pour le principe vital qui anime ce corps. C’est-à-dire qu’il n’émerge pas des réalités contingentes puisque Dieu « insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (v. 7). Le corps visible provient de la Terre, le souffle vital invisible est issu du Ciel, de la “bouche” même de Dieu.
— L’Église s’appuie entre autres sur ce passage pour soutenir la croyance en la création directement par Dieu de l’âme immortelle de chaque être humain particulier.
— Effectivement ! Ce souffle de Dieu peut aussi symboliser l’Esprit Saint qui anime l’homme de l’intérieur et l’emporte dans le courant du fleuve de vie vers une destination mystérieuse. Parmi toutes les autres créatures terrestres, ce souffle marque particulièrement l’être humain. Car au verset 18, les autres espèces sont modelées par Dieu comme l’homme à partir du sol mais elles ne bénéficient pas de l’infusion vitale divine. À la place, Dieu présente à l’homme les animaux modelés « pour voir comment celui-ci les appellerait » (v. 19). Effectivement, l’homme leur donne un nom. Il confirme ainsi son accession à la rationalité et sa position dans la création au-dessus des animaux, à la fine pointe de la courbe ascendante de la substance vivante.
Mais « il n’est pas bon que l’homme soit seul » (v. 18), constate Dieu. Pourquoi ? C’est qu’il n’est pas complet. Il n’est pas encore achevé. Nous dirions qu’il est lancé sur une route d’évolution. Il a besoin d’un complément pour marcher avec assurance vers l’inconnu du devenir sur la route terrestre. Et lorsque Dieu lui présente la femme, il s’écrie : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair » (v. 23).
Si sa rationalité a été mise en éveil par sa confrontation aux espèces animales, son MOI, quant à lui, émerge de son rapport avec une « aide assortie » à son niveau vital. L’homme se reconnaît dans l’autre parce qu’il est un être de relation. Il a besoin de s’épanouir comme un MOI pour être complété dans ses rapports avec ses semblables.
Le MOI est donc une structure légitime explicitement voulue par le Créateur. Il ne découle pas de la chute originelle comme une certaine vision manichéenne a pu le soutenir. Car l’auteur biblique affirme candidement que nos premiers parents étaient encore dans l’état d’innocence au moment où ils sont entrés en relation interpersonnelle : « Or, tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre » (v. 25).
— Selon l’enseignement chrétien, la cause du traumatisme, qui marque tragiquement le psychisme humain, remonte à la faute originelle. Mais à la lumière de votre théorie évolutionniste, quand et comment situez-vous cette chute ? Si je comprends bien votre hypothèse, elle serait survenue après le déplafonnement de l’instinct animal et au début de la formation du MOI ?
— Il n’est pas pertinent pour notre propos d’identifier l’espèce d’hominidé qui a engendré le corps du premier humain. Était-ce Homo habilis, Homo erectus ou quelque autre espèce encore inconnue ? Il revient à la paléontologie de formuler ses hypothèses. C’est pourtant mon avis que les sciences ne parviendront pas à résoudre l’énigme de l’origine, si toutefois elles jugent qu’il y a là un domaine de recherches qui les concernent.
Pour ma part, j’estime que la meilleure réponse que l’on puisse obtenir à cette question est contenue dans le récit du deuxième et du troisième chapitre de la Genèse. L’auteur explique qu’après avoir créé Adam, « Yahvé Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2, 8). Pourquoi « à l’orient » ? À quoi rime cette précision ?
Il y a comme un relent nostalgique en même temps que l’expression d’une espérance dans l’usage de ce terme. Tout a commencé en orient. Souvent dans la Bible, l’orient évoque une quête, un retour aux valeurs d’intériorité. « Qui a suscité de l’Orient celui que la justice appelle à sa suite » (Is 41, 2). « Voici que la gloire du Dieu d’Israël arrivait du côté de l’orient » (Éz 43, 2). La source de la vie est « à l’Orient » (la majuscule utilisée textuellement en Isaïe semble évoquer la source divine), c’est-à-dire à l’intérieur. Car la justice part du dedans.
Le jardin planté par Dieu « à l’orient » désigne donc le monde subjectif de l’homme et non un lieu géographique. Un jardin manifeste une nature ordonnée et planifiée selon des critères esthétiques. Que le jardin d’Éden ait été “planté” par Dieu spécifiquement dans l’intériorité de l’homme originel symbolise un traitement particulier, des conditions subjectives privilégiées, des dons abondants. L’on peut en induire que Dieu a éveillé la conscience de l’homme à l’abri des chocs et des accidents du monde contingent.
C’est dans un contexte de paix intérieure que se déroule la scène des origines évoquée par l’auteur. Inutile donc de chercher la trace archéologique de telles conditions. Elles ne sont pas objectives mais dépendent d’un état subjectif. Elles sont tributaires de l’état de la conscience.
Cet état privilégié tient principalement de la relation du premier homme à Dieu. L’homme voit tout ce qui existe comme en passant au travers de la perfection divine. Car il vit en familiarité avec son Créateur. L’auteur fait allusion à cette intimité sous l’image de Yahvé se promenant dans le jardin planté dans l’intériorité humaine. Une proximité quotidienne car la “promenade” divine s’effectue à l’heure où « la brise du jour » (Gn 3, 8) apporte sa fraîcheur apaisante. Comme si Dieu éprouvait le besoin de se délasser dans et par l’homme après avoir supporté “le poids” des œuvres accomplies sous le soleil torride du midi.
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La création :
mythe ou réalité ?
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