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Dans notre quête de la vérité, nous avons trouvé jusqu’ici que la connaissance du réel se développe sur deux axes opposés : l’intériorité et l’extériorité. Deux dimensions indissociables et d’égale proportion, l’une ne prédominant pas sur l’autre.
Albert : Dans la pratique, pourtant, n’accorde-t-on pas la priorité à l’extérieur ? Et cela ne s’explique-t-il pas du fait que l’on est comme jeté dans le monde objectif où l’on doit investir ses énergies pour vivre ?
– Tout à fait ! Mais c’est là une tendance contre laquelle on doit se prémunir. Notre présente recherche exige la réorientation de notre effort pour nous permettre d’englober la totalité du RÉEL. Notre destin, comme nous l’avons avancé, en dépend. C’est donc avec une même attention et un même souci de vérité que nous devons apprendre à considérer d’un même élan à la fois l’extériorité et l’intériorité du réel.
Commençons par considérer les moyens dont nous disposons pour explorer ces deux dimensions. D’abord, la face extérieure.
Nous avons déjà noté que nous en prenons connaissance par les fenêtres de nos sens. Alors, toute la question est de savoir ce que les sens révèlent de l’extériorité. Qu’est-ce qu’ils atteignent dans le monde objectif ? Nos facultés sensorielles perçoivent un monde d’objets tangibles dotés de formes, de couleurs, de textures, des réalités animées ou inanimées.
Notons d’emblée que les choses extérieures résistent à la pénétration par les sens ou les moyens technologiques inventés pour les prolonger. Cette observation est d’une importance capitale. Nos sens n’atteignent toujours que la surface des choses.
Prenons cette pierre. Je peux éprouver sa résistance par le toucher, en faire le tour du regard, l’observer sous tous les angles mais je ne peux absolument rien percevoir de son intérieur. Au microscope, je peux identifier les éléments dont elle est formée mais je ne visionne pas davantage sa réalité intérieure. Grâce aux outils technologiques, je parviens à décomposer ma pierre en d’autres formes plus petites : les molécules, les atomes. Si infimes soient-ils, ces éléments sont nécessairement atteints par leur côté extérieur. La perception des réalités auxquelles je me confronte dans le monde objectif n’atteint toujours que le contour extérieur des choses.
– Si je casse votre pierre en deux, je pourrai voir ce qu’il y a à l’intérieur. Votre argument selon lequel l’intérieur serait inaccessible aux sens ne tient pas. Que faites-vous des instruments technologiques permettant d’obtenir des images d’organes à l’intérieur des organismes ?
– Certes, il est possible de briser les formes existantes. Mais si je casse ma pierre en deux, je n’atteindrai pas davantage son intérieur. J’obtiendrai ainsi deux nouvelles pierres. En fait, ce que je verrai, ce n’est pas l’intérieur de la pierre car elle n’existe plus mais la forme extérieure des deux pierres qui résultent du choc. J’aurai détruit la forme extérieure de la première pierre au profit de deux nouvelles formes extérieures.
Tout est dans la forme. Les choses ont une forme qui les identifie. Briser ces formes ne donne pas leur intérieur mais de nouvelles formes. Même avec les instruments dont vous parlez pour voir à l’intérieur des organismes, nous ne percevons toujours que la surface des choses. L’image d’un cœur obtenue par échographie ne révèle rien sur la personne à qui il appartient. Elle ne fait qu’informer sur l’état apparent d’un organe du corps.
En décomposant une entité en ses parties, nous perdons l’entité au profit des parties. Votre cœur physique n’est pas vous, cher Albert. Il ne peut rien me dire sur vous – sur votre cœur spirituel en quelque sorte – ce que vous vivez dans votre réalité intérieure, ce que vous êtes dans votre vie intime.
– Je vois que l’intériorité dont vous parlez et que vous opposez à l’extériorité concerne l’ordre moral. Ne confondez-vous pas deux ordres de réalités en les juxtaposant indûment ?
– Je suis conscient qu’un tel rapprochement puisse surprendre. Mais il est tout à fait légitime et utile, dans l’optique de la philosophie quantique, de mettre ces deux ordres en parallèle. Ici encore, il s’agit de rendre compte tant de l’observateur que de l’observé, tant du sujet que de l’objet.
Pour y parvenir, je me dois d’introduire dans notre démarche cette perspective intérieure que vous associez non sans de très bonnes raisons à l’ordre moral. Perspective sans laquelle je ne pourrais parvenir, entre autres, à vous connaître en tant que personne. Imaginez tout ce qui me manquerait si j’étais fondamentalement incapable de saisir l’être des choses, dont vous-même dans votre réalité !
– Comment parvenez-vous à me connaître ?
– C’est en m’ouvrant à ma propre dimension intérieure que j’y arrive. Alors, je ne m’arrête pas à l’information que me communiquent les sens. Car mes sens ne perçoivent rien au-delà de votre peau. C’est par ma conscience que je peux scruter votre réalité. De sorte que j’évalue d’emblée que votre personne dépasse considérablement la surface de votre peau et que vous valez plus que la somme de vos parties.
Vous êtes unique, vous êtes Albert et on ne saurait réduire votre existence à une certaine quantité de tissus organiques. Pour m’ouvrir à votre intériorité, je dois donc passer par l’axe de ma propre conscience. Mon JE SUIS ! La conscience d’être me fait découvrir par analogie l’être en vous.
La conscience ! Si les sens s’ouvrent sur la superficie des choses, la conscience, le JE SUIS, pénètre leur intériorité. Il n’existe pas d’autre chemin pour explorer le monde intérieur. Nous pourrions chercher longtemps, nous ne pourrions trouver une autre porte d’accès à cette dimension.
– Quelle est la pertinence de ce constat pour la recherche de la vérité ? Je veux bien admettre que la méthode scientifique ne permet pas d’accéder au concept de l’être. Mais qu’est-ce que ça change ?
– Vous avez bien dit que nous recherchons la vérité, n’est-ce pas ? C’est-à-dire que nous sommes en quête de la réalité. Je définirais ainsi l’axiome que nous appliquons à notre démarche depuis le début : la réalité est la vérité. Nous postulons qu’est vrai ce qui est réel. Notre méthode pourrait d’ailleurs être qualifiée de “réaliste”, de sorte que nous pourrions identifier notre philosophie quantique par ce terme également.
Or, ne sommes-nous pas, par notre conscience, une manifestation initiale du réel ? L’abordage du réel ne se fait-il pas inévitablement par notre existence propre ? C’est pourquoi nous devons commencer par comprendre qui nous sommes et comment nous sommes structurés pour discerner toute la vérité. Cette mise au point faite, tout le reste en découlera simplement. Si nous comprenons celui qui comprend, alors nous serons en mesure de comprendre exactement ce qu’il est possible de comprendre.
Voici donc comment nous sommes faits. Pour nous confronter à toute la réalité, nous avons les sens pour nous informer sur le monde extérieur et la conscience pour éprouver l’être intérieur. Il n’y a pas d’autres possibilités. Nous sommes ainsi construits et rien ne pourrait faire que nous soyons autrement.
Une première chose à tirer de cette constatation. Il s’agit d’identifier ce que l’intelligence atteint ultimement au bout de chacun de ces axes. En d’autres mots, qu’est-ce que les sens donnent comme objet de connaissance et qu’est-ce que la conscience atteint du réel ?
Si nous considérons le monde sur lequel s’ouvrent nos sens, nous sommes amenés à nous demander de quoi sont faites les multiples réalités auxquelles nous nous confrontons. Spontanément, nous postulons que ces réalités, bien qu’elles soient toutes différentes les unes des autres à bien des égards, sont faites à partir d’une même base que nous nommons matière. Les sens nous ouvrent au monde de la matière.
Et si nous considérons maintenant la conscience que nous éprouvons d’être, nous devons aussi nous demander ce qui la permet et sur quoi elle s’ouvre. D’où nous vient cette faculté ? Sur quoi se fonde-t-elle ?
Effectuons un exercice. Considérons attentivement notre intérieur. JE SUIS ! Je suis présent. Je suis porté par un dynamisme. Je suis vivant ! Une source jaillit en moi. La vie me soulève incessamment jusqu’à la conscience d’être.
Résumons-nous. Les sens et tout ce que nous fabriquons pour les prolonger afin de mieux connaître le monde extérieur nous permettent d’atteindre la matière. Tandis que la conscience, qui coïncide avec le présent de l’être nous met en communion avec la vie. Le principe initiateur de notre conscience, c’est la vie. Notre conscience émerge de la vie. Et le sujet – je dis bien le sujet et non pas l’objet – que la conscience peut appréhender, c’est encore la vie.
– Qu’est-ce que la vie ? Cette opposition entre matière et vie fait problème. Je persiste encore à croire que la vie n’est qu’une forme plus évoluée issue de la matière ?
– Supposons que ce soit le cas et que l’existence des organismes vivants puisse se réduire à la matière, le malaise que vous ressentez n’en demeurerait pas moins entier. Car il ne s’agit pas de savoir si la vie est une forme subtile de matière ou non. La question est plutôt de savoir comment parvenir à connaître la vie, par quel biais l’aborder. Et là, nous sommes contraints de prendre note de cette inévitable opposition dont vous voudriez bien faire l’économie.
Nous pourrions certes mener une enquête scientifique pour étudier les organismes vivants. Mais cette approche par l’extérieur, comme nous l’avons déjà noté, nous permettrait seulement de recueillir de l’information sur la structure matérielle des organismes. La vie elle-même nous échapperait. L’anatomiste chercherait en vain la vie d’un organisme quelconque. Sa science lui permettra seulement de disséquer les structures matérielles que le dynamisme vital anime ou délaisse sans laisser la moindre trace. La vivisection ne peut donc rien lui apprendre sur la vie en tant que telle.
Entre la vie et la mort d’un organisme, il y a un contraste immense, avons-nous déjà constaté. L’on peut apprécier cette différence en comparant la chaleur, la vivacité, l’autonomie d’un organisme en possession de tous ses moyens vitaux et le cadavre froid et immobile qu’il devient lorsque la vie a quitté le corps. Cette différence ne peut être évaluée que par une approche subjective capable d’apprécier le côté qualitatif des réalités. Elle échappe tout à fait à l’analyse objective de l’approche scientifique qui s’en tient exclusivement au quantifiable.
Lorsque nous disons d’une personne qu’elle connaît la vie, nous ne voulons pas signifier qu’elle est férue de connaissances objectives en biologie mais plutôt qu’elle a accumulé des expériences subjectives qui, en dernière analyse, touchent à son développement moral. Connaître la vie s’applique à la dimension intérieure, à l’acuité de la conscience. L’expression populaire est pleine de sens pour une philosophie quantique ou réaliste. Car la réalité dépasse la perception objective et tout extérieure des choses pour englober le monde intérieur de la conscience. En sorte que la connaissance de la vérité n’est pas moralement indifférente. Elle est conditionnée par la motivation du regard que je pose comme être conscient sur la réalité.
– Cette proposition n’implique-t-elle pas une recherche purement subjective et arbitraire de la vérité ?
– Certes non ! La vérité que nous cherchons n’est ni purement subjective, ni uniquement objective. Elle transcende plutôt les notions antinomiques de sujet et d’objet. Pour le comprendre, identifions le type de connaissances que chacune des deux approches développe.
Pour l’extérieur, il y a d’abord cette connaissance commune de la matière acquise par l’usage des sens et de la raison. Des connaissances accumulées par expérience, par la confrontation spontanée depuis la tendre enfance à l’opacité de la matière. Lorsque nous cherchons à connaître plus systématiquement ce monde dans lequel nous vivons, nous multiplions les expériences et enquêtes objectives pour accéder en bout de ligne à la connaissance scientifique. Cette dernière représente le sommet du type de connaissances que nous pouvons tirer de l’approche extérieure de la réalité.
Pour ce qui est de la vie, le type de connaissances privilégiées par l’approche intérieure de la réalité semble de prime abord plus difficile à identifier. Cette difficulté provient des préjugés véhiculés par notre culture axée sur les connaissances exactes à l’exclusion de toute autre forme de savoir.
D’emblée, nous pouvons saisir en l’expérimentant que la conscience d’être s’abouche directement à la vie en soi. De sorte qu’en abordant les questions que soulève l’être, elle oriente la recherche de la vérité en direction de la vie morale. Et si l’on veut approfondir, en parallèle aux sciences, la démarche de recherche dans cet univers intérieur, l’on pénétrera dans un monde de connaissances spirituelles. La connaissance de l’être, la connaissance de la vie, c’est la démarche spirituelle de l’homme qui en est la clef et la finalité.
– Le parallèle est saisissant. Nous ne sommes pas habitués à considérer sur un même plan la science et la spiritualité.
– Les connaissances spirituelles véhiculées par les diverses religions sont pourtant de vraies connaissances au même titre que les connaissances scientifiques. Je suis conscient en l’affirmant de heurter les préjugés scientistes si généralisés. L’erreur de perspective de ce dernier point de vue tient principalement de ce que les connaissances religieuses sont interprétées par le scientifique – et parfois même par le religieux fondamentaliste – comme de l’information visant le monde extérieur. Elles sont en fait exclusivement ordonnées à l’intériorité et c’est seulement lorsqu’elles sont appliquées à cette dimension qu’elles peuvent être considérées d’une valeur comparable à celles issues du domaine scientifique.
Les connaissances spirituelles sont à la vie ce que les connaissances objectives ou scientifiques sont à la matière. Dans l’optique quantique et réaliste, non seulement ne s’opposent-elles pas mais elles sont complémentaires. La réalité est une mais la démarche fondamentale visant la connaissance de cette réalité prend au départ deux avenues aux antipodes l’une de l’autre.
Tout au cours de l’histoire humaine, et même depuis la préhistoire, l’approche extérieure de la réalité s’est développée graduellement. Les connaissances acquises jusqu’ici sont susceptibles de progresser encore dans l’avenir. De la même manière, l’acquisition des connaissances obtenues par l’approche intérieure de la réalité a progressé au cours des âges pour parvenir au point où nous sommes. Cette croissance n’est pas achevée. Elle pourra éventuellement atteindre des sommets insoupçonnés.
– Mais puisque chacune poursuit son cours dans des directions opposées, comment pourraient-elles dialoguer et être complémentaires ?
– Elles sont effectivement spécialisées et marquées dans leur langage par l’axe dans lequel chacune se développe. C’est pourquoi nous qualifierons de “relatives” les connaissances issues de chacune de ces approches.
Nous avons donc deux types de connaissances relatives : la connaissance objective et la connaissance spirituelle. Ce qui nous amène à considérer une troisième voie.
Car c’est très précisément la mission de la philosophie quantique d’articuler un langage qui intègre ces deux connaissances relatives dans sa perspective. Il s’agit de la connaissance universelle que je nomme ainsi en toute cohérence avec notre emploi du terme univers. Dans l’usage courant, ce concept réfère à l’ensemble de la matière objective, terrestre et cosmique. Nous avons corrigé cette notion pour qu’elle comprenne aussi et nécessairement la dimension subjective de la vie.
Commençons par définir les premiers termes de cette pensée. Et, tenant compte du bagage que nous avons acquis jusqu’ici, posons encore une fois la question de savoir de quoi est fait le réel. Mon axiome initial JE SUIS DANS LE MONDE nous a amenés au constat d’une réalité bipolaire dont les axes se déploient en des directions inverses. Dans le monde extérieur, la conscience aboutit à la matière, tandis que dans l’intériorité, elle s’ouvre sur la vie. Matière et vie. Deux termes aux antipodes l’un de l’autre. Je postule qu’ils renvoient à deux substances distinctes.
– Deux substances ? Ne devrions-nous pas présumer une seule substance fondamentale puisqu’il n’y a qu’une réalité ?
– Je le voudrais bien. Mais le problème que nous aurions serait de savoir comment connaître cette unique substance qui devrait englober matière et vie. Comme nous l’avons vu, ni les sciences positives ni la religion ne peuvent, en raison même de leur orientation respective, embrasser une perspective aussi globale, la première étant concernée exclusivement par la tangibilité de la matière et la seconde par l’intangibilité de la vie.
C’est bien une telle vision globale, holistique que notre philosophie du réel vise à définir. Pour y parvenir, elle se doit toutefois d’éviter le piège de prétendre observer l’univers de l’extérieur, avec le détachement d’un dieu qui pourrait connaître notre unique réalité – à la fois matière et vie – sans pourtant en faire partie. Car ce faisant, elle exclurait en dernière analyse la conscience qui prétendrait tout englober, cette conscience étant la seule porte d’entrée sur la dimension vitale. L’univers n’est pas un objet que le mental humain peut circonscrire. Il ne peut jamais être exclusivement objectif pour notre esprit, marqué qu’il est par la composante de la conscience dont l’essence est la subjectivité même.
Le philosophe réaliste (ou quantique) doit demeurer bien ancré dans le tout de la réalité. Il ne doit pas s’évader dans une abstraction qui exclurait l’un ou l’autre pôle s’il veut demeurer fidèle à la condition humaine. Sa conscience n’est pas extérieure au monde. Elle est dedans ! Et c’est à partir d’une perspective d’en bas plutôt que d’en haut – de l’intérieur du corps plutôt que d’un esprit désincarné – qu’il doit parvenir à définir l’étonnant mystère d’être au monde.
– Il reste que cette dualité de substances m’inquiète. J’appréhende le dualisme classique – esprit versus matière – avec son cortège de dérives mentales et de doctrines aberrantes.
– Ne vous inquiétez pas, cher ami. S’il est vrai que la pensée dualiste conçoit une antinomie irréductible entre l’esprit et la matière, il faut préciser que l’erreur fondamentale de ce point de vue consiste justement à tirer de cette opposition un jugement moral négatif qui stigmatise la matière. Nous nous garderons bien d’une telle erreur.
La matière n’est pas mauvaise. La bipolarité matière et vie ne doit pas être perçue sous l’angle de l’opposition mais plutôt sous celui d’une incontournable et inexplicable complémentarité. Elle est un état de fait positif que je constate d’abord en moi et qui conditionne mon existence. Je suis un être dont la vie anime la matière dont je suis constitué. La matière est bonne puisqu’elle participe à l’être que je suis.
Dans la foulée de ce jugement positif, identifions les raisons qui nous incitent à considérer la matière comme une substance. Dans un deuxième temps, nous appliquerons la même démarche à la vie.
L’une des toutes premières questions que la conscience rationnelle pose lorsqu’elle se confronte au monde extérieur, c’est de savoir de quoi les réalités sont faites. Certes, elle peut répondre que telle chaise est en bois, que telle montagne est un agrégat de roche, que tel outil est fait d’acier, etc. Mais plus profondément encore, demande-t-elle, de quoi l’ensemble des choses diverses est-il fait ? Qu’y a-t-il de commun, par exemple, entre les astres du ciel et les innombrables objets qui meublent le paysage de la Terre ?
Dans l’interrogation se trouve déjà la réponse. Car du seul fait de poser la question, la raison postule que les choses sont constituées d’un même tissu, qu’elles sont en quelque sorte découpées à partir d’un même matériau de base. Elle reconnaît d’emblée qu’une substance (du latin substo : se tenir sous), que l’œil ne détecte pas comme telle, est sous-jacente aux choses.
Cette substance qu’elle nomme matière permet d’expliquer que l’on puisse comprendre quelque chose de la réalité objective et s’y situer adéquatement. Nous déduisons spontanément de l’observation de la multiplicité des choses les règles générales qui les régissent sans considération pour leurs formes accidentelles. Et lorsque nous systématisons notre démarche pour acquérir des notions exactes sur le monde qui nous entoure, nous parvenons à la connaissance objective ou scientifique.
– Mais qu’est-ce qui oblige à ramener l’ensemble des réalités extérieures à une seule substance ? Pourquoi les choses ne seraient-elles pas simplement différentes ? Pourquoi ne pourraient-elles pas être limitées à ce qu’elles sont ?
– Si les choses étaient toutes fondamentalement différentes les unes des autres, elles n’auraient rien de commun. Et n’ayant rien en commun, elles ne pourraient avoir de rapports entre elles. Si bien qu’il serait impossible de déduire les lois qui les gouvernent.
Les réalités extérieures seraient alors impensables, elles seraient impénétrables par la logique. Il n’y aurait aucun moyen de les comprendre, chaque chose se comportant selon sa loi propre. Chacune serait un monde fermé sur lui-même et sans rapport possible avec les autres. Non seulement un tel monde serait-il irrationnel mais il serait infaisable de s’y situer, de s’y mouvoir, d’y subsister. Il serait un chaos d’accidents incessants.
Comment serait-il possible de vivre dans un monde où chaque chose aurait un comportement différent et imprévisible ? Une pierre pourrait s’élever dans les airs pendant qu’une autre tomberait, une troisième se déplacerait dans la ligne horizontale, une quatrième zigzaguerait, etc. Impossible de prévoir quoi que ce soit dans un tel monde, donc impossible de comprendre quoi que ce soit et d’éviter les chocs qui s’y produiraient à l’infini !
Si je peux comprendre les relations qui existent entre les choses et expliquer leur cohérence entre elles, c’est parce qu’elles obéissent toutes sans exception à des lois générales qui les gouvernent. Ce sont les lois de la matière.
Par exemple, si je laisse tomber deux choses différentes des airs, disons une plume et un haltère, les deux vont se diriger vers le sol. Et tout autre objet se comportera de la même manière. Cet unique comportement de plusieurs choses différentes est imposé à toutes indépendamment de leur composition, de leur poids, de leur forme, de leurs caractères individuels. Elles subissent toutes l’attraction de la gravité parce qu’elles sont toutes faites de la même substance. Elles obéissent infailliblement et inévitablement aux lois qui régissent cette substance.
Cela dit, il demeure que la matière est une réalité bien mystérieuse. Les sens dont nous disposons sont de bien trop faibles moyens pour atteindre le fond commun des choses. Pour parvenir à percer cette énigme, les humains ont inventé des prolongements à leurs sens. Ce sont les instruments microscopiques et macroscopiques qui leur permettent de jauger plus avant le monde extérieur et en tirer, en liaison avec la faculté rationnelle, des connaissances objectives.
En dépit des recherches les plus poussées, la substance matérielle demeure des plus déroutantes. Plus les scientifiques avancent dans leurs découvertes, plus le fond commun des choses recule en révélant de nouveaux aspects inconnus. Finalement, la matière semble si bien s’évanouir dans l’intangible que certains en viennent à mettre en doute son existence.
– En se basant sur ces doutes, ne pourrait-on pas soutenir que la matière n’est pas réelle, qu’elle est une création de la rationalité ?
– Une telle conclusion relèverait, me semble-t-il, d’une erreur spécifique. Celle du scientisme philosophique. Car le refus de reconnaître l’existence de la matière découlerait du fait que la quête de sens serait exclusivement orientée vers le versant extérieur de la réalité. La négation de l’existence de la matière viendrait alors couronner une démarche qui ignore ou ne tient pas compte de l’autre pôle du réel : la conscience de la vie. Et paradoxalement, elle viendrait comme conclusion d’un procédé qui, au départ, poserait comme postulat pratique que seule la matière existe et qu’elle est donc la seule base du réel.
Car si la conscience devait constater que la matière, en dernier ressort, échappe à l’analyse, elle ne saurait en conclure à son inexistence mais plutôt que la raison est confrontée aux limites de ce qu’elle peut connaître. La conscience ne peut en effet se tromper lorsqu’elle conclut à l’existence des réalités qui lui sont extérieures. Les nier équivaudrait à se nier soi-même puisque le corps, au travers duquel se manifeste la conscience, est issu de ces réalités extérieures.
En toute logique, je ne peux pas affirmer que le monde, n’ayant aucun fondement matériel, n’existe pas et, conséquemment, que je suis suspendu dans un vide indéfinissable. Mais de ma confrontation à l’inaccessibilité de la matière, je peux conclure plus justement que je vis dans un monde mystérieux dont la base m’échappe parce qu’elle dépasse les moyens dont je dispose pour la saisir jusque dans son dernier retranchement.
– Soit ! Va pour la matière. Mais qu’en est-il pour la vie ?
– La vie est assurément une réalité aussi mystérieuse que la matière. Tout comme la matière, nous ne pouvons pas l’apprécier dans sa facture originelle. Nous pouvons toutefois déduire son existence du pullulement des organismes vivants sur la Terre. Leurs qualités indiquent qu’ils participent à une substance commune irréductible à la substance matérielle.
– Vous soutenez que derrière la diversité extraordinaire des organismes vivants, il n’y aurait qu’une seule chose, une réalité unique, une substance ?
– Pas une mais deux substances ! Les organismes vivants sont des hybrides. Lorsqu’on les observe de l’extérieur, ils apparaissent faits de matière comme d’ailleurs tout ce qui est phénomène observable dans le monde. Mais cachée dans les replis de cette matière existe une vie intangible dont la matière ne peut rendre compte. Et tout comme de l’observation des choses tangibles nous avons tiré le concept de la substance matérielle, de la même manière et pour la même raison, nous tirons du fait de l’existence des organismes vivants le concept de SUBSTANCE VIVANTE.
Certes, cette substance vivante, tout comme d’ailleurs la substance matérielle, échappe à la perception. Et nul doute que le chercheur qui voudra en sonder le mystère, quelle que soit sa méthode, se confrontera à une difficulté comparable à celle des scientifiques concernés par la matière. Plus il avancera pour la saisir, plus elle échappera à son enquête.
Mais l’impuissance à identifier l’élément fondateur de cette substance ne l’autorisera pas à conclure à son inexistence. Pas plus que l’inaccessibilité du fond de la matière n’est un motif suffisant pour douter de sa réalité.
Qu’on ne puisse espérer saisir la vie dans sa réalité ultime et qu’il faille, tout comme pour la matière, admettre une origine mystérieuse, indéfinissable, ne signifie pas toutefois que nous n’en puissions rien dire. La recherche scientifique n’a-t-elle pas donné d’étonnants résultats en dépit de notre impuissance à cerner la matière jusque dans son fondement ? De même, la recherche de la vie pourra produire d’inestimables fruits en dépit de notre incapacité à la circonscrire.
– Mais comment procéder dans cette recherche ? Quelle serait donc la voie à suivre pour parvenir à la connaissance, même partielle, de cette présumée substance vivante ?
– Reprenons en résumé ce que nous avons déjà trouvé jusqu’ici. Une évidence : pour connaître la substance vivante, il faut vivre. C’est-à-dire que je dois l’approcher par le versant JE SUIS du RÉEL. Pour appréhender la vie, je dois descendre en moi en régressant vers l’origine de cette faculté qui m’autorise à déclarer : JE SUIS. Parce que je suis le seul à pouvoir expérimenter que je suis, je suis unique ! Personne ne peut dire je suis à ma place et personne, depuis le commencement du continuum de l’espace-temps jusqu’à l’extinction éventuelle du cosmos, n’a pu ou ne pourra éprouver la conscience que j’expérimente.
En plongeant au cœur de ma conscience, je découvre qu’elle est une manifestation d’une substance distincte de la matière. La conscience survient en effet à la fine pointe du dynamisme vital qui m’anime. Tout comme je dois passer par mes sens pour induire que l’existence de la matière peut seule rendre compte de la multiplicité des choses extérieures, de même je dois passer par la conscience pour saisir que le dynamisme vital peut seul rendre compte de l’unicité de l’être vivant que je suis.
C’est donc à partir du constat que la vie fait de moi un être à un unique exemplaire que je puis me tourner vers l’extérieur pour découvrir dans le monde objectif le pullulement des organismes vivants. Et c’est par analogie à cette expérience d’être unique que je peux reconnaître l’unicité de chaque organisme vivant. Tout ce qui est doté de vie existe à un seul exemplaire. Ce qui me contraint à conclure que tous les organismes sans exception sont portés par une même substance dont l’une des premières et grandes caractéristiques est l’unicité.
– Si je vous comprends bien, la substance vivante serait une sorte de grande vie transcendante dont les organismes tireraient leur vie individuelle ! Les conséquences d’un tel concept me semblent ahurissantes ! L’une d’elles, entre mille autres, obligerait à concéder que cette substance serait en quelque sorte immortelle, puisqu’elle subsisterait perpétuellement au-delà de toutes les générations biologiques.
– La pérennité de la substance vivante ne devrait pourtant pas être plus étonnante que la conservation de la matière dans le continuum spatio-temporel. Toute la matière est donnée au départ, affirment les scientifiques. Il ne s’en crée ni ne s’en perd. De la même manière, il me semble inévitable que la substance vivante soit toute donnée dès l’origine. Et ceci, même si elle a dû attendre quelque dix milliards d’années pour se manifester visiblement sur la Terre. Mais l’on peut supposer qu’elle a pu être subsistante avant que sa présence devienne détectable par la médiation des organismes.
Mais nous ne nous arrêterons pas pour l’heure aux spéculations de cet ordre. Demeurons-en au concret tout en explorant quelques pistes qui pourront nous aider à imaginer la vie en tant que substance.
Le mot souffle vient spontanément à l’esprit. Dans l’usage courant et traditionnel, on parle volontiers du souffle de vie. Si cette expression convient pour évoquer le dynamisme vital du règne animal, elle a le désavantage de ne pas rendre compte du règne végétal. Faudrait-il mieux parler d’énergie, de fluide vital pour exprimer l’intangibilité et la pérennité de cette substance ?
– Ce qui me questionne davantage que ces termes, c’est le paradoxe de l’unicité de la substance vivante versus la multiplicité de ses manifestations dans la sphère biologique. Comment ce qui est unique peut-il produire une telle pléthore d’organismes ?
– Imaginons la frange d’un tissu dont l’étoffe lui-même ne serait pas accessible à notre vision. Nous verrions alors chaque fil apparent de la frange comme des entités séparées les unes des autres. Nous pourrions toutefois conjecturer, en raison de leurs positions, que ces fils sont invisiblement reliés les uns aux autres. Et si nous avions la possibilité de voir le vêtement dont ils tireraient leur origine, nous constaterions qu’ils sont enracinés dans la trame de l’immense et unique pièce d’étoffe dont ils ne constitueraient que la manifestation visible.
Les organismes vivants, ce sont les fils de cette frange. Ils sont des effets dans le monde matériel d’une réalité immatérielle dont l’ampleur nous échappe. Une immatérialité qui traverse l’univers et la pénètre de toutes parts sans que nos sens ou les instruments scientifiques les plus sophistiqués que nous ayons inventés puissent la détecter ! Les mots, pour le moment, semblent bien faibles.
Qu’est-ce donc que la substance vivante ? C’est en étudiant les lois qui gouvernent les deux substances que nous pourrons lever partiellement le voile de ce mystère.
– Je demeure sur l’impression que vous présentez les substances sous l’angle d’un combat entre deux inconciliables ? Le réel serait-il contradictoire ?
– Encore une fois, non une contradiction mais une complémentarité fortuite et inexplicable ! La matière et la vie se croisent comme deux routes transversales. À leur jonction – c’est-à-dire dans les organismes vivants –, elles sont nouées l’une à l’autre. La réalité oppose un démenti constant à la perception d’un conflit entre les deux substances. Car c’est cette bipolarité même qui forme le RÉEL.
Comme preuve de la conjonction harmonieuse des deux substances, je propose mon témoignage. À cet égard, peut-il y avoir démonstration plus convaincante que celle que l’on éprouve soi-même ? Je n’expérimente aucune contradiction, aucun conflit, aucun écartèlement du fait d’être une alliance des deux substances. La vie et la matière collaborent en moi pour me faire exister.
Il en est de même pour vous, cher Albert, et pour tous les êtres doués d’un corps. Notre existence dépend de cette estimable jonction des deux substances. En définitive, tous les vivants luttent avec la dernière énergie pour maintenir cette union. Car la rupture de ce lien implique la mort.
– La mort est donc la preuve par la négative que les deux substances travaillent en synergie. Mais qu’est-ce encore qui les distingue ?
– De nos considérations antérieures nous pouvons déduire que la multiplicité est à la matière ce que l’unicité est à la vie. En ce qui concerne l’unicité de la substance vivante, nous n’avons besoin d’aucune confirmation extérieure pour l’admettre. C’est la conscience d’être vivant qui en donne la certitude. Nous savons que la vie de chaque organisme vivant, dont nous-mêmes, ne se répétera jamais. Cette coccinelle qui passe, pourtant la copie conforme de milliards d’autres qui ont existé ou existeront dans l’avenir, est unique. Lorsqu’elle mourra, elle ne reviendra plus jamais à l’existence.
– L’insecte est inconscient. Il est une simple mécanique conditionnée, conforme aux exemplaires de son espèce ?
– Le caractère unique de cette coccinelle ne lui vient pas de ce qu’elle soit consciente ou conditionnée dans ses actes mais bien du fait qu’elle soit vivante. C’est sa vie à elle, ce fluide mystérieux d’énergie qui la traverse et l’anime, qui est unique et irremplaçable et non les organes de son corps ou son comportement. Que cette vie ait plus ou moins de valeur, on peut en discuter.
Observons en passant que si nous nous en tenions aux considérations objectives, nous n’aurions aucun critère pour juger de cette valeur relativement à d’autres organismes. La démarche scientifique ne permet pas de fonder la supériorité de l’homme sur la coccinelle. Car les sciences positives ne sont pas concernées par les valeurs, et donc, par le côté qualitatif du réel. Comme nous l’avons déjà observé, en raison même de leurs postulats, elles se doivent d’effectuer leurs recherches dans l’ordre quantitatif pour dégager de leurs observations les lois générales qui gouvernent les réalités. Et si la démarche scientifique devait aboutir à la conclusion que la coccinelle prédomine sur l’homme, ce ne pourrait être qu’en fonction du nombre d’individus de cette espèce par comparaison à l’espèce humaine.
L’évaluation qualitative est une prérogative de la conscience vivante. Elle se fait en dépendance d’une appréhension subjective du réel. Elle permet de scruter la réalité en fonction d’une hiérarchie de valeurs, élaborée dans la dimension intérieure. Si je peux affirmer que l’homme est supérieur à la coccinelle, c’est parce que j’estime que la conscience rationnelle et morale lui confère une dignité et une valeur dont on ne peut trouver d’équivalence dans le monde des insectes. Nous avons donc ici une nouvelle antinomie. Le qualitatif est à la vie ce que le quantitatif est à la matière.
– La quantité pour la dimension extérieure et la qualité pour l’axe intérieur. Ne simplifiez-vous pas outrancièrement ?
– Nous pouvons confirmer la pertinence de cette antinomie par plusieurs autres concepts contrastants. Par exemple, il ne suffit pas d’observer que la matière se présente dans la réalité comme une quantité d’objets divers. Il faut encore constater que ces formes sont accidentelles et divisibles. Du coup de marteau que je dirige sur une pierre pourra résulter deux pierres ou plus. La quantité de roche n’aura pas changé. La matière dans son fond n’aura pas été altérée. Seule la forme accidentelle aura été divisée pour donner plusieurs pierres, certes plus petites mais dont la somme égale la pierre initiale.
Il n’en est pas ainsi pour les organismes vivants. Ils ne sont pas seulement uniques, ils sont indivisibles. Une action visant à diviser un organisme ne peut aboutir qu’à sa destruction. Si je le démembre, je n’en obtiens pas deux ou plus, je ne divise pas son unité vitale. Et si je persiste à sectionner la structure organique du vivant, cette unité vitale finira par m’échapper définitivement. J’aurai détruit l’organisme pour avoir voulu le diviser. Les organismes vivants ne sont pas seulement uniques, ils sont des entités indivises. Chacun forme un tout impénétrable. Un constat qui fait ressortir une autre antinomie : l’insécabilité est à la vie ce que la divisibilité est à la matière.
Cher Albert, nous pourrions continuer encore longtemps – jusqu’aux limites du langage, il me semble – à chercher des termes qui décrivent en parallèle les deux substances. J’ai dressé ci-dessous une liste non exhaustive de quelques termes antinomiques qui situent les deux substances aux antipodes et font ressortir le paradoxe à la base du tout de la réalité universelle.

Cette liste de contraires inclut une distinction capitale, primordiale que la faculté rationnelle fait spontanément. Il faudrait user de beaucoup d’artifices pour la contraindre à n’y voir qu’une seule et même chose. Il n’est pas nécessaire aux humains doués d’intelligence de cogiter bien longtemps pour discriminer entre les choses faites exclusivement de matière et les organismes animés par la vie.
À la base de ce jugement, une antinomie évidente : le dynamisme est à la vie ce que l’inertie est à la matière. La matière est inerte. Elle demeure statique tant et aussi longtemps qu’elle n’est pas modifiée par des forces extérieures. Les formes qu’elle adopte sont sculptées exclusivement par le jeu des accidents contingents. La pierre que voilà est le produit d’une multitude de facteurs qui lui ont donné ses attributs : sa position, son poids, sa composition minéralogique, sa texture, sa densité, son contour. Et elle demeurera indéfiniment telle tant qu’elle n’aura pas subi une nouvelle impulsion par une force extérieure quelconque.
– Il est vrai que les formes matérielles semblent inertes. Mais peut-on déduire des constats de l’observation que la substance matérielle en elle-même est inerte ? Depuis le “big bang” initial, n’a-t-elle pas subi une formidable évolution ?
– Remarquez, cher ami, que vous utilisez le verbe subir pour décrire cette évolution. Votre vocabulaire laisse ainsi entendre que la matière est passive et que les changements que l’on peut observer résultent des conditions créées par l’ensemble des phénomènes extérieurs. Dans le monde de la matière, tout s’explique par un enchaînement de causes et d’effets, comme vous ne cessez de le soutenir. C’est d’ailleurs l’axiome à la base de la recherche scientifique.
Les savants parlent d’entropie pour décrire la formation de la matière. Ils estiment que les modifications de sa structure fondamentale sont la conséquence du refroidissement de la soupe originelle de particules élémentaires. Une chute de température a provoqué la formation des électrons, une autre a permis l’assemblage des atomes, une nouvelle baisse de chaleur a occasionné la structuration des molécules, et ainsi de suite.
En se refroidissant, la matière se fige dans des formes de plus en plus lourdes et complexes. Sa soi-disant “évolution” consiste à perdre de plus en plus sa chaleur, une énergie qui s’use en se diffusant. La matière est comme le résidu laissé par la dispersion dans l’espace de la haute énergie initiale, cette gigantesque explosion à son origine. Elle n’évolue pas dans le sens que nous utilisons ce mot à propos des organismes vivants mais elle subit une entropie. Une dégradation thermodynamique dont la cause est liée à la dilatation de l’espace.
Considérons maintenant les organismes vivants. Le contraste n’est-il pas remarquable ? Ce ne sont pas les conditions extérieures qui les poussent dans un sens ou dans l’autre. Leurs comportements sont déterminés par des facteurs internes qui les font agir de manière autonome. Certes, ils sont faits de matière mais, en même temps, ils passent à travers elle en lui imposant un vouloir vivre de tous les instants. Ils sont tangibles comme tout ce qui est constitué de matière mais mus qu’ils sont de l’intérieur par un dynamisme invisible, une force vitale qui les fait exister, ils luttent pour survivre contre les forces extérieures qui tendent à les réduire à leur substrat matériel, à briser leur unité pour vouer les éléments dont ils sont constitués à la dispersion.
– Votre description évoque le combat que livrent les animaux pour survivre. Mais elle s’applique mal au règne végétal !
– L’unicité du dynamisme vital dans un végétal n’implique pas la mobilité qui caractérise le règne animal. Elle tient plutôt d’une croissance sans discontinuité. Aucune force, aucune contrainte extérieure n’impose à l’arbre la nécessité de se développer en étalant de plus en plus loin ses racines et en déployant plus largement sa ramure. S’il est vrai que les conditions extérieures peuvent plus ou moins favoriser ce développement, il reste que ce ne sont pas elles qui le causent. La croissance dépend du dynamisme vital qui anime le végétal de l’intérieur depuis que la graine à son origine est parvenue à germer. Un arbre mort ne grandit plus parce qu’il a perdu le principe vital qui le pousse à amplifier sa structure. Il est vidé du dynamisme qui le constituait vivant et le faisait croître toujours plus.
Observons une plante dans les principales étapes de son développement. D’abord graine féconde ; puis jeune pousse qui pointe du sol ; parvenue à la maturité, la plante se gorge d’eau et de soleil pour produire une fleur et, finalement, un fruit, semence d’une nouvelle vie végétale. Ce n’est pas le terreau dans lequel elle est plantée, aussi fertile soit-il, qui a produit tout ça mais bien l’énergie vitale, qui a été activée dans la graine dont elle est issue.
Ce dynamisme vital, associé à un héritage génétique qui résume les réussites antérieures de l’évolution dans cette branche biologique particulière, devait obligatoirement produire un fruit au temps marqué de la croissance de la plante. Ce ne sont pas les conditions extérieures qui en sont directement la cause mais bien le fluide de vie, capable d’absorber, par des organes d’adaptation à la matière, les éléments nécessaires à la sustentation de l’organisme, à sa croissance, à son développement, à sa reproduction.
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2 réponses à “8- Les deux substances”
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Plusieurs passages de cet article laissent une impression de redites, d’arguments répétitifs. Ces redondances sont pourtant utiles. Elles permettent une approche du sujet sous divers angles de telle manière que l’examen une à une des multiples facettes de la question — les antinomies — soit convainquant et tienne lieu de démonstration. Car il s’agit en définitive de mettre en valeur la pertinence du postulat des deux substances et leur irréductibilité.
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Passionnant.
A ces deux substances font écho deux théories évolutives. La théorie du Big bang, qui appartient au monde de la physique, parle de l’évolution de la matière. La théorie synthétique de l’évolution, qui appartient au domaine de la biologie et de la génétique, parle de l’évolution des êtres vivants. Deux types d’évolution complètement différents, et pourtant liés.
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