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11- Complexité et finalité

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— Dans la foulée des conceptions purement matérialistes de la réalité, l’on attribue à la matière une sorte de pouvoir créateur. Ce processus d’or­ganisation, dénommé complexité, expliquerait l’apparition des organismes vivants et leur évolution.

Mais qu’est-ce que la complexité ? D’où vient-elle ? Qui peut définir la complexité elle-même ? Comment identifier les paramètres qui détermi­nent ce présumé pouvoir organisateur ?

Je reconnais que la matière, dès l’origine, est embarquée sur une voie d’organisation qui va du simple au complexe. Mais qu’y a-t-il derrière cette complexité ? Dans les milieux scientifiques, on ne jure que par la com­plexité. N’y a-t-il pas un risque que ce concept fétiche serve de réponse bouche-trou, de faux-fuyant face aux questions que soulève l’enquête sur nos origines ? Un peu — mais à l’autre extrême — comme le recours à la divinité pour rendre compte de ce qu’on ignore. La complexité serait-elle un substitut du Créateur ?

L’on peut mettre en doute la valeur strictement scientifique de cette notion. Car pour se qua­lifier comme telle, il faudrait savoir par quelle loi la complexité détermine l’évolution. Et si cette tendance est strictement inhérente à la matière, n’est-il pas vrai que l’on devrait pouvoir l’exprimer, comme pour les constantes universelles, par une formule mathématique ?

Selon moi, la notion de complexité relève plutôt d’un questionnement philosophique. On l’induit de l’observation de structures de plus en plus élaborées. Objectivement, elle ne devrait impliquer rien de plus que ce constat. Cependant, on l’interprète comme une explication finale du phé­nomène de la vie. On ferme ainsi la porte à d’autres hypothèses faisant appel à un tout autre ordre de réalité que celui exclusif à la matière.

Or, la méthode scientifique s’appuie sur l’axiome voulant que les mêmes causes produisent les mêmes effets. D’autre part, l’enchaînement des cau­ses secondes implique une succession d’effets toujours de même niveau. Pourtant, dans la thèse de la complexité, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Nécessairement, il faut supposer quelque chose de plus. Car à chaque nouvelle étape de l’organisation de la matière, quelque chose de nouveau survient qui n’existait pas dans les structures antérieures.

D’où vient cet ajout ? Qu’est-ce qui provoque l’apparition d’une nou­veauté ? Quelle en est la cause ? Comment expliquer que la complexité puisse traverser de part en part tous les niveaux et toutes les dimensions du monde visible, depuis les particules élémentaires jusqu’au cerveau hu­main, de l’atome infime jusqu’aux galaxies qui se balancent à des distances inimaginables dans la nuit de l’espace-temps ? Ces questions ne sont-elles légitimes ?

— Certains scientifiques estiment que la complexité découle du hasard et de la nécessité.

— Le hasard ? Qu’est-ce que le hasard ? Cette notion permet-elle d’expli­quer que la matière puisse passer du simple au complexe, de l’inanimé à l’animé ? Une chose remarquable à observer. C’est que le “plus” ajouté aux réalités existantes pour en amener de nouvelles est invariablement le produit d’une pensée. Ce “plus” constitue une sorte de discours que l’intelligence peut saisir.

La connaissance consiste d’ailleurs à mettre en évidence la cohérence perçue par l’intelligence, ce que nous appelons le sens, la signification. Si je peux observer, à la suite du refroidissement du plasma à l’origine de la matière, que des électrons ont commencé à graviter autour de particules agglutinées en noyaux pour former les premiers éléments, c’est parce que l’atome fait du sens. L’atome porte en lui-même une signification que je peux saisir. Ce sens est intégré à la structure objective de la réalité avant que je l’assimile à mon bagage de connaissances.

Or, ni l’électron ni le noyau de particules subatomiques ne sont eux-mêmes créateurs de cette signification. L’électron et le noyau ne se sont pas dit : Nous allons former un atome. L’atome constitué, c’est le plus qui s’ajoute aux particules élémentaires, c’est une pensée qui se manifeste tangiblement. Ce n’est pas l’homme qui a inventé l’atome. Elle était déjà inscrite dans la réalité lorsqu’il l’a découverte. De même, le phytoplancton n’a pas décidé de produire l’oxygène aux tout débuts de l’histoire de la vie sur la Terre. Mais en accomplissant la photosynthèse pendant des millions d’années, il concrétisait le projet intelligent de produire ainsi l’air que nous respirons, la base de la biodiversité planétaire . Et il en est ainsi à chaque étape accomplie sur l’incommensurablement long trajet de la complexité.

L’observation objective permet donc de percevoir de l’intelligence dans la réalité, une intelligence qui se manifeste sous l’angle d’une com­plexité croissante. L’homme de science qui découvre un sens aux choses ne l’invente pas. Il ne fait que reconnaître ce qui est déjà là depuis toujours. Et si le sens est là, ne serait-ce pas parce que derrière l’apparence des réa­lités, Quelqu’un, organise les éléments dans le but précis de faire advenir ce qui existe et préparer ce qui adviendra ?

– Il me semble clair que si Dieu intervenait à tout bout de champ dans la création, il nous serait impossible de connaître les lois universelles.

– Interprétez-moi bien, cher ami ! Je ne fais pas allusion à des interven­tions arbitraires d’un Créateur. « Dieu ne joue pas aux dés », disait Ein­stein. Selon le point de vue du croyant, le Créateur est parfait dans son acte de créer. Il n’a donc nul besoin d’intervenir pour diriger ou corriger en cours de route les paramètres de sa création. Dieu n’est pas interventionniste. Il se contente de créer l’essence des choses. En d’autres mots, il donne le sens des choses, il potentialise des significations pour qu’en découlent, par le jeu des causes secondes, les phénomènes de la réalité.

Mon commentaire visait donc le fondement de sens sur lequel reposent les choses. Ce ne sont pas les choses qui se donnent à elles-mêmes ce sens. La raison humaine ne l’invente pas non plus. Elle ne peut que l’apprécier en constatant qu’il existe.

— N’introduisez-vous pas ici une conception idéaliste, rejetée massive­ment depuis des lustres par la communauté scientifique ?

— Nous avons déjà évoqué jusqu’à quel point les constantes universel­les sont finement réglées. La moindre dérogation à leurs déterminismes aurait pu empêcher la formation de la matière ou le développement de la vie. Ces faits n’indiquent-ils pas que les significations que portent les cons­tantes ne sont pas limitées à leurs manifestations initiales mais se répercu­tent dans l’espace et le temps jusqu’à nous ? Et même, jusqu’à ce qui n’est pas encore advenu et que nous ignorons encore. Au-delà des accidents ponc­tuels apparemment accessoires, ces faits n’impliquent-ils pas que toutes les réalités sont reliées et que toutes, globalement, sont porteuses de signifi­cation ?

Ce sens de la totalité, nous le conceptualisons par le terme univers. Si l’homme peut concevoir l’univers, c’est que cet univers a été pensé avant qu’existe une humanité capable de le concevoir et avant même que cet univers existe. Et il y a plus ! Réfléchissons en termes quantiques. Le sens ponctuel ou secondaire des choses dépend du sens global de la réalité. Tout ce qui existe est tributaire de la totalité. Le sens que nous découvrons à un point de l’espace et du temps, fut-il des plus infimes, tire sa justification de la signification universelle.

Si bien que les moindres fibres de nos corps participent aux éléments des galaxies aux confins de l’univers. Les liens entre nous et des objets qui nous apparaissent séparés et lointains sont inestimables. Les atomes de mon être physique n’ont pas qu’un sens en eux-mêmes ; ils sont traversés par une signification qui me concerne et me rejoint. Car ce sont des géné­rations d’étoiles qui ont fabriqué les atomes dont mon corps est fait. Mon existence dépend d’un travail accompli au cœur des galaxies depuis des milliards d’années. Est-ce que la complexité peut rendre compte d’un tel niveau de signification ? La réalité est un tel mystère !

Mais pour en finir avec l’hypothèse de la complexité, je dirai que son principal défaut est d’être incomplète. Quelque chose échappe aux scien­tifiques qui expliquent l’émergence des organismes vivants par la comple­xité. Ils ne voient que leur côté superficiel et extérieur. Ils n’atteignent pas leur fondement intérieur.

Expliquer que les organismes sont issus de la matière ne résout pas la question de leur origine ! Que l’on puisse observer une solution de con­tinuité entre la formation de protéines et l’apparition des unicellulaires n’ex­plique pas le passage entre l’état passif, statique et inerte des grosses molé­cules et cette mystérieuse pulsation, ce frétillement, ce frémissement des vivants. Cela ne prouve pas que la vie soit apparue par une sorte de néces­sité inhérente aux mécanismes de la matière et ne permet surtout pas d’in­duire que la vie puisse se réduire à de la matière, fût-elle très organisée.

D’autre part, comment la vie pourrait-elle à la fois surgir des potentia­lités de la matière et, en même temps, se structurer globalement à l’encon­tre de ses lois ? Par exemple, nous savons depuis Newton que la force d’inertie de la matière est égale au produit de la masse par la vélocité. Mais cette loi ne s’applique pas aux organismes vivants. Ils manifestent un pou­voir d’autonomie qu’on ne peut réduire à la masse et au mouvement. Ils échappent à cette loi de la matérialité.

Ce pouvoir, dont la physique ne rend pas compte, c’est le dynamisme vital. Évoquons encore l’image de la vigne qui grimpe sur la surface du rocher. Il saute aux yeux que la muraille et la plante sont des réalités irré­ductibles. La première et immédiate évidence de cette radicale différence, c’est le dynamisme de l’organisme végétal versus l’inertie de la pierre.

Ce contraste fonde la connaissance spontanée de sens commun qui per­met de discerner entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. Même les scientifiques qui tendent à réduire la réalité à la matière doivent s’appuyer sur cette perception universellement reconnue. Car pour expliquer le phé­nomène de la vie sur notre planète, ils doivent postuler a priori une dis­tinction radicale entre ce qui est vivant et ce qui est matière. Si la vie n’était qu’un état plus complexe de la matière, ils n’éprouveraient nul besoin d’expliquer le mystère de son émergence inopinée dans un monde de pure matérialité.

– Je reconnais que l’apparition de la vie sur notre planète est un phé­nomène mystérieux. On est porté à le réduire à des notions toutes faites qui ne tiennent pas assez compte de sa spécificité.

– Pour tenir légitimement la thèse de la complexité, on devrait distin­guer entre deux modes d’application. Car entre la matière et la vie, la com­plexité ne s’applique pas de la même manière. Par exemple, le type de complexité par laquelle les éléments matériels tombent en place peut se reproduire expérimentalement. Une comparaison. Si l’on refroidit suffi­samment de l’eau, c’est-à-dire que si on lui enlève de son énergie, cette eau se transformera en glace. Si au contraire on lui infuse de la chaleur, elle se transformera en vapeur.

Il en est ainsi pour la formation des éléments de la matière. Au début de l’univers, les particules étaient si agitées et comprimées sous l’effet de la chaleur extrême qu’aucun atome ne pouvait se former. Mais lorsque la chaleur a commencé à chuter graduellement en raison de l’expansion cos­mique, les atomes de plus en plus complexes sont tombés en place.

La matière est de l’énergie qui se fige, qui se coagule dans sa forme en se refroidissant comme l’eau se solidifie en glace sous l’effet du froid. La substance matérielle est conditionnée par le refroidissement progressif de son état au rythme de la dilatation spatio-temporelle. Elle se complexifie, certes, mais c’est toujours en étant moulée par le contexte extérieur.

Et maintenant, disons que nous sommes parvenus à un état de la matière qui précède l’apparition de la vie. Sur notre planète, les conditions chimi­ques et climatiques ont présidé à la formation des acides aminées et des grosses molécules de protéines. Les bases mêmes des organismes vivants ont été mises en place par les conditions extérieures, dont les abondantes dé­charges électromagnétiques de l’atmosphère terrestre au début de l’histoire de notre planète sont l’un des facteurs.

Mais pour produire les premiers organismes vivants, il faudra assister à un renversement radical des déterminismes de la matière. C’est désor­mais un dynamisme interne qui prendra la relève de l’élaboration de la complexité plutôt que les conditions extérieures. Et cette nouvelle réalité vivante devra son développement à sa capacité de s’inscrire en faux contre la loi d’entropie qui exerce une pression négative sur son unité organique. Elle devra s’inscrire en lutte contre la matière pour survivre. Pour durer, elle devra s’acharner contre la marche inexorable de l’espace-temps vers le froid.

Avec l’apparition de la vie, quelque chose de nouveau et d’un tout autre ordre survient au cœur du monde matériel. Les scientifiques eux-mêmes ont identifié certains signes distinctifs des organismes vivants. C’est la capa­cité de produire de l’énergie, de croître et de se reproduire.

Ce sont là, comme nous l’avons déjà souligné, des caractères complète­ment absents des déterminismes de la matière. Et même, ces capacités sont tout à l’opposé de son parcours entropique. Bien loin de produire de l’éner­gie, la matière en perd de plus en plus. Et si jamais rien n’arrête l’expansion cosmique, elle continuera à dilapider indéfiniment son énergie jusque dans les ténèbres d’un froid absolu. La matière ne connaît pas non plus ni la croissance ni la reproduction car elle est toute donnée au départ.

En contraste, considérons l’incommen­surable fécondité de la substance vivante, à partir des humbles débuts mi­croscopiques jusqu’au pullulement dans toutes les directions de l’espace habitable de notre planète. Lorsqu’ils tentent d’expliquer les étapes du passage de la matière à la vie, les scientifiques ne disent rien à propos de ce renversement radical du parcours de la matière. Ils devront admettre ici que quelque chose leur échappe et que leurs explications ne rendent pas compte de toute la réalité.

La complexité qu’ils invoquent pour combler cette lacune, c’est en fait la forme que prend, pour l’observateur objectif, l’ascension qualitative de la substance vivante. En raison des limites de l’approche extérieure, la tra­jectoire elle-même leur échappe. Où s’ils l’observent, ils ne savent pas comment l’interpréter. Ils ne peuvent en extrapoler ni le sens ni le devenir parce que les paramètres de leur recherche les incitent à refuser a priori une signification inscrite dès l’origine de l’univers qui indiquerait une des­tination et pointerait vers un accomplissement.

– Je peux comprendre que le fait de reconnaître une orientation im­plique l’admission d’une finalité.

– Cher Albert, il m’apparaît tout à fait impossible, même d’un point de vue strictement scientifique, d’exclure la finalité de la perception et de l’ex­pression de la réalité. Car toute explication – scientifique, philosophique ou autre – vise à décrire des évidences finales, dans le sens philosophique du terme. La finalité est une condition incontournable du saisissement du réel par la rationalité. Elle est reliée à la perception de significations que discerne l’intelligence et qu’elle exprime par le langage. Si cette finalité primordiale dans les choses n’existait pas, on ne pourrait rien saisir de cohérent et de signifiant. De sorte qu’aucun discours ne serait possible. On ne peut saisir de la réalité que ce qui est figé dans sa finalité par l’intel­ligence.

On peut trouver une illustration de ce fait dans l’exemple d’un artefact dont on ignorerait l’origine. On pourra certes décrire ses contours en réfé­rence à d’autres objets connus. Mais on ne pourra pas comprendre ce qu’il est avant d’avoir saisi sa finalité, c’est-à-dire sa fonction. Alors seulement, on pourra lui donner un nom conforme à l’usage auquel il a été destiné.

Comprendre une chose, c’est donc nécessairement saisir une finalité. Le concept de l’univers n’échappe pas à cette exigence de la raison. On ne peut pas le comprendre si on ne sait pas à quoi il sert, c’est-à-dire à être le cadre final d’existence de toutes les réalités. Voilà un premier niveau de finalité auquel ne peut échapper même une description minimale de la réa­lité universelle, quelle que soit la discipline utilisée pour la dire.

Deuxièmement, le monde dans lequel nous vivons est mouvant. C’est une évidence indéniable que les sciences confirment : cet univers dans lequel nous sommes plongés n’est pas statique. Et il ne fait pas que sim­plement accomplir une certaine trajectoire dans l’espace. Il se transforme sur son parcours. Il est en perpétuel état de changement intrinsèque, com­me en témoigne entre autres l’histoire de la formation et de l’expansion du cosmos et, plus encore, celle de l’évolution de la vie sur la Terre.

Ce qui soulève la question de savoir si cette mouvance universelle est porteuse de signification, et donc de finalité. Une signification que l’on ignore encore peut-être mais qui fait que tout se tient et s’achemine vers une destination qu’on se doit de présumer positive. En bout d’analyse, le choix de réponses n’est pas grand. Il est tranché ! De deux choses l’une : le mouvement universel observé a un sens, une signification, une direction ou il n’en n’a pas.

Si nous optons pour le non-sens, alors nous devons renoncer ultime­ment à rendre compte de la réalité du monde qui s’étale devant notre cons­cience. Car si cette trajectoire n’est pas marquée par une signification, elle n’est pas intelligible non plus, n’étant pas orientée vers une finalité. Il ne reste alors, en se fondant exclusivement sur la conscience de soi, qu’à philosopher dans le vide sur le non-sens et l’absurdité de l’existence.

Mais si au contraire nous percevons un sens minimal à la mouvance de la réalité dans laquelle nous sommes plongés, alors nous devons postuler que la trajectoire, qui a eu un commencement, se dirige vers un aboutisse­ment quelconque. Inévitablement !

C’est tout au mérite de l’astrophysique d’avoir su démontrer objective­ment que l’univers a eu un commencement absolu. On parle de ce surgis­sement dans la réalité comme d’une naissance de la matière. Les récentes images spectaculaires du cosmos en ses débuts confirment son expansion. Certes, le mouvement des galaxies fait du sens en lui-même et s’explique par la poussée initiale depuis l’atome primordial. Mais aujourd’hui, il doit aussi être porteur de sens pour nous, les humains, derrière nos lunettes d’observation.

Pour le comprendre, imaginons que nous sommes témoins de la naissance du cosmos et que de là, nous entreprenons un long voyage jusqu’à aujour­d’hui. Notre périple ne s’effectuera pas que dans l’espace. Il se fera aussi dans le temps, n’est-ce pas ? Notre aventure commence, il y a quatorze milliards d’années. Depuis le point infinitésimal de l’origine, nous sommes projetés par le “big bang” dans l’espace. Plus nous avançons, plus nous nous rapprochons du monde actuel. Nous voyons se former notre galaxie. Puis, en avançant encore à la périphérie de notre Voie lactée, le système solaire avec ses planètes, il y a dix milliards d’années. Ensuite, quelque six milliards d’années plus tard, l’apparition de la vie microscopique sur la Terre. Lancée sur une voie évolutive, cette vie, après quelque quatre mil­liards d’années de recherches et d’expérimentations, aboutit jusqu’à notre espèce capable d’observer le mouvement des étoiles.

Voilà ! La trajectoire que nous avons parcourue, c’est le passé, c’est ce qui est déjà révolu, tant du mouvement cosmique que de l’évolution biolo­gique. Qu’arrive-t-il à cette mouvance et que devient-elle au présent ?

– Selon les plus récentes théories, le cosmos est en expansion infinie.

– Certes, l’expansion cosmique se poursuit. Mais la mouvance biologi­que, elle, que devient-elle ? Est-il pensable qu’elle soit porteuse de signi­fication lorsque nous la considérons au passé et qu’elle cesse d’être signi­fiante parvenue à nous ? Ce qui est intelligible au passé peut-il cesser de l’être au présent et en direction du devenir ? Ou, pour poser la question autrement, se peut-il que l’humanité arrive en conclusion de cette mou­vance, qu’elle en soit l’aboutissement, le terme ? Le prétendre ne consti­tuerait-il pas un anthropomorphisme patent ?

Non, la substance vivante – ou l’évolution, comme on voudra nommer ce phénomène de vie – continue à poursuivre son objet aujourd’hui. Elle ne s’arrêtera pas subitement dans sa démarche essentielle parce que l’hom­me en prend conscience.

– Mais vers quoi poursuit-elle sa course ?

– Nécessairement, elle passe par notre présent à nous qui auscultons le mouvement universel. Nous sommes sous la mouvance actuelle de l’uni­vers. Le mouvement se continue mais il passe à travers nous. L’univers d’aujourd’hui, c’est nous ! Nous sommes chargés du présent cosmique.

– Vers quelle direction ce présent est-il orienté ? Quel est son axe de développement, son paradigme d’évolution ?

– Tant que nous considérons le monde devant nous, tant que nous fai­sons face à cette portion de réalité qui s’étale devant nos sens, nous nous confrontons au passé, à la trajectoire déjà révolue du cosmos et de l’évo­lution biologique. Pour répondre à la question du sens actuel de la tra­jectoire universelle, il faut accomplir une volte-face dans l’appréhension de la réalité en retournant la conscience vers elle-même afin de coïncider avec l’être en soi, là seulement où se vit le présent ! C’est dans cette dimension que se joue le devenir universel. Le présent ne peut pas se pro­longer par un autre chemin que celui de l’intériorité. Et ici, nous rejoignons la fibre morale de l’humanité. L’homme est encore bien loin d’être parvenu à la finitude. Il évolue encore. Il est donc inévitable que cette mouvance universelle se poursuive au présent vers un devenir qui, s’il traverse la conscience humaine, la dépasse pour prolonger sa route.

Or, si la méthode scientifique peut prévoir la destination de la matière cosmique, elle est incapable de prédire un devenir qui intègre la vie à sa perspective et, conséquemment, la conscience et le destin de l’humanité. Car les sciences sont condamnées au passé par leur approche axée exclu­sivement sur la matière. Ce n’est donc pas de leur ressort d’identifier la fin vers laquelle se dirige la route de l’univers. Cette tâche revient à des disci­plines optant pour une perspective qui englobe la dimension vitale, comme la philosophie, la spiritualité, la religion.

– Vous estimez donc que la mentalité scientifique actuelle fait fausse route lorsqu’elle refuse d’admettre une finalité universelle ?

– Derrière la volonté de rejeter a priori une finalité quelconque, l’on peut soupçonner, au-delà du souci de préserver l’objectivité scientifique, la présence de motifs philosophiques antireligieux. Des présupposés qui colorent et entachent précisément cette objectivité.

Car dans l’esprit de certains scientifiques, reconnaître une direction à la réalité, c’est ouvrir la porte au postulat de l’existence d’un Être Suprême. Comment en effet la réalité peut-elle avoir un sens – et donc une finalité – si une impulsion directionnelle n’a pas été donnée par une forme ou l’autre de transcendance au départ de sa trajectoire ? Le refus de reconnaître un axe de direction à la réalité peut donc, dans certains cas, viser le refus d’un Créateur.

Mais si la réalité n’a aucune direction, comment prétendre y compren­dre quelque chose ? Tout ne se disperse-t-il pas dans tous les sens, toute cohérence n’est-elle pas réduite à néant ? L’inconsistance d’une telle ap­proche matérialiste se confirme par le refus, chez certains scientifiques, de reconnaître une hiérarchie qualitative des organismes vivants. Ils soutien­dront, par exemple, qu’aucune donnée objective ne permet d’estimer l’hom­me supérieur aux bactéries. Et ils dénonceront la soi-disant subjectivité anthropocentrique de ceux qui s’obstinent à percevoir entre les deux une distance qualitative incalculable.

Cette évidente myopie est toutefois cohérente par rapport aux présup­posés de la philosophie scientiste. Car la réduction de la réalité à la matière s’appuie sur un postulat épistémologique voulant que toute connaissance doive être acquise au prix d’un arrachement de la réalité par l’abstraction du sujet connaissant. De sorte que pour connaître, l’homme devrait penser comme s’il n’existait pas. Comme si l’intelligence pouvait se désincarner du monde matériel dans lequel elle est plongée pour considérer l’univers globalement avec le détachement d’un esprit au-delà de la matière. Une belle contradiction ! On soutient que seule la matière existe mais on se com­porte dans la recherche de la vérité comme un être exclusivement spirituel.

En elle-même, toutefois, la démarche scientifique est légitime, mais elle doit apprendre à reconnaître ses limites. Il s’avère que l’attitude scien­tiste, qui se retrouve encore de nos jours dans la communauté scientifique, est aujourd’hui largement dépassée. Depuis que la physique quantique a introduit dans l’appréhension scientifique de la réalité le rôle de l’obser­vateur, il sera désormais difficile de maintenir une approche philosophique qui évacue toute évaluation subjective – et donc qualitative – de la réalité.

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Dans la foulée des conceptions purement matérialistes de la réalité, l’on attribue à la matière un processus d’or­ganisation, dénommé complexité, qui expliquerait l’apparition des organismes vivants et leur évolution. Mais qu’est-ce que la complexité ?
Les moindres fibres de nos corps participent aux éléments des galaxies aux confins de l’univers. Car ce sont des géné­rations d’étoiles qui ont fabriqué les atomes dont nos corps sont faits. Nos existences dépendent d’un travail accompli, des milliards d’années, au cœur des galaxies.
La solution de con­tinuité entre la formation de protéines et l’apparition des unicellulaires n’ex­plique pas le passage entre l’état passif, statique et inerte des grosses molé­cules et cette mystérieuse pulsation, ce frétillement, ce frémissement du tissus vivant.
Avec l’apparition de la vie, quelque chose de nouveau et d’un tout autre ordre survient au cœur du monde matériel. Les scientifiques eux-mêmes ont identifié certains signes distinctifs des organismes vivants. C’est la capa­cité de produire de l’énergie, de croître et de se reproduire. Ne pourrait-on pas ajouter encore à ces qualités une potentialité, évidente sur la photo, que les laboratoires ne peuvent circonscrire, soit l’amour ?
Lunivers dans lequel nous sommes plongés n’est pas statique. Il se transforme sur son parcours. Il est en perpétuel état de changement intrinsèque, com­me en témoigne entre autres l’histoire de la formation et de l’expansion du cosmos et, plus encore, celle de l’évolution de la vie sur la Terre. Ce qui soulève la question de savoir si cette mouvance universelle est porteuse de signification, et donc de finalité.

2 réponses à “11- Complexité et finalité”

  1. On dit que tel scientifique a fait telle découverte, que Francis Crick a été récipiendaire du prix Nobel pour sa découverte de l’ADN, qu’Albert Einstein a découvert la relativité générale, etc. Et l’on loue l’intelligence de ces savants comme s’ils étaient les auteurs de ce qu’ils ont trouvé. Pourtant, ce qu’ils ont découvert était déjà là dans la réalité depuis toujours.
    Spontanément, nous nous comportons comme si les innovateurs et les inventeurs étaient les créateurs de la matérialité à laquelle l’intelligence donne accès. Nous ne sommes pourtant que des usagers du monde matériel et non des créateurs. Ne devrions-nous pas en tout premier lieu reconnaître la trace du Créateur qui non seulement a superbement ordonné la réalité avec intelligence mais a aussi donné à l’homme l’intelligence pour en saisir l’ordre et la beauté ?
    Une telle reconnaissance aurait le mérite de prédisposer à la spectaculaire volte-face à laquelle cet article invite, de l’extériorité vers l’intériorité, pour en venir à effectuer cet innénarrable constat : « Nous sommes chargés du présent cosmique. L’univers présent, c’est nous ».

  2. COMMENTAIRE
    Notre auteur introduit ici la notion de « sens ». C’est une notion complexe. Mais les deux exemples qu’il apporte sont très éclairants. Je les reprends en mes mots.
    L’artefact. Un archéologue trouve un artéfact. Matériellement, il peut en faire l’analyse et dire que c’est un morceau de terre cuite. Fort bien. Par contre, s’il réussit à découvrir, peut-être avec un autre morceau, qu’il s’agit d’un morceau de telle sorte d’assiette, le morceau prend un nouveau sens. Et s’il découvre à quoi servait ce genre d’assiette dans telle civilisation à telle époque, l’artéfact n’est plus seulement un morceau de terre cuite, mais il prend toute une signification nouvelle. De plus, il s’inscrit dans un univers de sens et il contribue lui-même à apporter du sens, à faire comprendre peut-être mieux la vie de cette civilisation à cette époque.
    La cosmologie. Le 2e exemple est encore plus lumineux. L’auteur rappelle très brièvement la cosmologie de l’univers. Si nous avions été présent pour assister à la formation des premières particules élémentaires par la baisse calorifique de l’énergie primordiale, nous aurions pu trouver cela très intéressant. Mais lorsque ces particules élémentaires commencent à se regrouper pour former des atomes, wow ! Elles prennent toute un autre sens. Et lorsque ces atomes se regroupent pour former des molécules. Wow ! Le sens de l’existence des particules élémentaires s’élargit encore. Et plus encore lorsqu’elles entrent dans la composition des molécules vivantes, puis des organismes vivants, puis de l’être que je suis. Je suis tout entier composé de particules élémentaires formées à l’aube de l’univers. Ces particules, fut à partir d’aujourd’hui, ont un tout autre sens que ce qu’elles avaient au moment de leur formation.
    Alors, la question qui traverse tout ce chapitre : est-ce que ce « sens » préexistait en quelque sorte ? Est-ce que le sens s’est forgé au mur et à mesure, selon les « aléas » de l’histoire ? Ou bien, ce sens se « dévoile » au fur et à mesure du développement de l’histoire ?
    Comme mon propre corps, comme nous l’avons dit précédemment. À l’origine de mon corps, il y a une simple cellule, un ovule fécondé. Il est impossible de voir ce que deviendra cette cellule. Mais, nul ne doute que le développement de mon corps est entièrement programmé. Rien ne sera laissé au hasard dans le développement ultérieur de cette première cellule. C’est ce qui m’a amené à proposer à théorie de « la cellule primitive ». Personnellement, je crois que l’univers se développe selon une « programmation » préétablie. Avec M. Bouchard, je crois qu’il peut être raisonnable et même scientifique d’affirmer cela puisque la science découvre les « lois » qui président à tout ce développement. Par contre, la question de savoir « qui » a fait cette programmation, cela relève, évidemment, d’une question religieuse.
    Cette tout cela peut me renvoyer à ma propre vie. Dans ma vie personnelle, tant et tant d’événements de mon histoire « prennent sens » beaucoup plus tard, dans un regard rétrospectif. Ce sens était-il prééxistant ? Là-dessus, les différentes croyances religieuses proposent des interprétations différentes. Tenons-nous en donc à l’observation des faits pour le moment.