Catégories
Commentaires récents
  1. Cher Nicolas, notre dernier VTPN s’est terminé un peu abruptement et m’a laissé sur ma faim. Serait-ce parce que notre…

  2. Tu me juges « absolument hérétique ». Ton verdict arrive un peu vite, il me semble. Tu te positionnes à…

  3. D’entrée de jeu, je mentionne deux aspects du discours de Paul qui continuent de me fatiguer. 1. Il poursuit sur…

  4. La spiritualisation de la substance vivante (ou angélisation) résoud positivement deux hypothèses aux antipodes concernant l’origine de l’univers : la…

  5. Entretien complexe et audacieux. Pour en écrire un commentaire pertinent, il faudrait que je m’y plonge beaucoup plus longuement et…

  6. Les postulats fondateurs de la philosophie quantique, soutenus au début de cette démarche, commencent à donner du fruit. On avance…

Recherche
9- Les modalités du vivant

< article_précédent ______________________________________________ article_suivant >

– Bien sûr, les scientifiques peuvent observer une solution de conti­nuité entre l’élaboration des molécules de plus en plus complexes et l’ap­parition de formes vivantes primitives. Il est possible d’identifier les étapes du passage de la matière à la vie. En s’appuyant sur cette continuité, l’on pourrait formuler l’hypothèse que la matière est elle-même vivante. Nous l’apercevrions comme étant inerte uniquement en raison des limites de notre perspective infinitésimale. Nous pourrions ainsi supposer que les particules à leur niveau jouissent d’une certaine forme de vie.

L’hypothèse s’avérerait toutefois de peu d’utilité pour notre niveau de conscience. Car même en postulant qu’une parcelle de vie anime les parti­cules, la question demeurerait de savoir comment des molécules inertes, fussent-elles archi complexes, auraient pu se regrouper en des entités pour former des cellules capables de se reproduire. La reproduction est un autre signe distinctif. La matière ne se reproduit pas. La capacité de se reproduire est une marque de la vie. De sorte que la distinction entre l’inerte et l’animé garde ici toute sa pertinence philosophique.

Cette distinction entre l’inertie de la matière et le dynamisme de la vie prépare à tout le moins la saisie d’une antinomie plus subtile, plus difficile à concevoir et à laquelle nous avons déjà fait allusion autour de l’axiome JE SUIS DANS LE MONDE. Il s’agit de la dimension du PRÉSENT dans lequel s’inscrit le dynamisme vital versus l’espace-temps que traverse la matière.

Si vous lancez un objet dans l’espace sidéral, il poursuivra sa course en ligne droite et en gardant constante sa vitesse tant qu’il n’aura pas subi l’influence d’un autre corps. Un objet matériel ne possède pas en lui-même la capacité de modifier sa course. Il demeure dirigé dans une direction sur laquelle il n’a aucune prise, aucun contrôle. Supposons que cet objet soit lancé aux limites de l’espace au-delà duquel il n’y aurait plus la possibilité de subir l’influence d’un autre corps. Cet objet ouvrirait par sa course mê­me l’espace dans lequel il s’engouffrerait. Il n’existerait pas d’espace au-devant de l’objet mais après, comme conséquence de son parcours et de sa vitesse. La matière crée en quelque sorte l’espace qui conditionne son exis­tence. Elle poursuit une route qui initialise aussi le temps (voir l’illustration graphique ci-dessous). Car elle demeure marquée par la dernière impulsion subie dans le flot fuyant de sa vélocité et ne sera pas modifiée avant qu’un nouveau choc n’incurve son parcours.


Entre l’impulsion passée et le choc futur de la trajectoire de la matière surgit la vie. La vie ne connaît ni le passé, ni le futur, ni l’espace dans lequel s’enfonce la matière. La vie est un dynamisme qui jaillit toujours et infailliblement au présent dans l’inaccessible et invisible dimension inté­rieure des organismes. Ici, il faut arrêter le va-et-vient de la conscience pour éprouver ce fait. Car il peut révolutionner notre perception de la réalité.

La vie ne connaît et ne peut connaître que la dimension du présent. Il ne peut exister de vie au passé ou au futur. C’est toujours au moment même que la vie se manifeste. Un constat qui a d’incommensurables conséquen­ces. Une fontaine qui sourd des profondeurs du sol doit renouveler sans cesse son eau pour demeurer source. Il en est de même pour la vie. Elle doit jaillir perpétuellement à l’intérieur de l’organisme pour le maintenir vivant au PRÉSENT.

Cher Albert, arrêtons-nous un instant pour prendre conscience de cet aspect particulier de l’énigme de la vie. Ici, la rationalité n’a que peu de mots et d’arguments à invoquer. Pour comprendre, l’intelligence doit céder la place à l’intuition. Car la froide raison ne peut que se taire d’admiration devant un phénomène dont le plus époustouflant des mystères est de se manifester toujours et seulement à l’intérieur des limites infiniment étroi­tes du présent.

Considérons ce que nous sommes. Cette vie qui jaillit à l’intérieur nous fait exister au moment même. Notre conscience n’est pas emportée comme notre corps dans l’entropie de l’espace-temps. Elle impose plutôt un cran d’arrêt au flot continu des réalités qui se diluent et s’usent dans leur trajec­toire spatiale du passé vers l’avenir. Nous ne sommes pas au passé, nous ne sommes pas au futur. Nous sommes au présent et ne pouvons être qu’au présent, portés que nous sommes par la substance vivante.

– Un jour, pourtant, nous mourrons. N’est-ce pas un événement iné­luctable qui fera sombrer notre vie au passé ?

– Dans le passé pour ceux qui restent, certes. Mais comment JE SUIS pour­rait-il être au passé ? L’affirmation n’implique-t-elle pas nécessairement la présence ? Je suis un être vivant et, en tant que tel, je ne peux connaître d’autre dimension que le présent.

Bien sûr, je garde le souvenir d’événements de mon existence passée et je puis aussi planifier ceux de l’avenir. Mais pour me souvenir du passé ou prévoir l’avenir, je dois faire appel à ma mémoire et à mon imagination. Par ces facultés, je crée en quelque sorte un double de ma personne pour me visionner dans des circonstances et des lieux qui ne font pas partie de la réalité puisqu’ils ne sont pas dans l’acte d’être réels. Ce double de moi, ce n’est pas la conscience d’être. C’est une projection, une image que je me fais de moi-même. Celui qui EST véritablement, c’est celui qui imagine le double et non le double. C’est celui qui se tient toujours derrière dans l’invi­sible. C’est JE SUIS. Se souvenir du passé, ce n’est pas être, c’est exercer sa mémoire. Prévoir l’avenir, ce n’est pas être, c’est imaginer son devenir.

Un jour je mourrai, comme vous l’avez souligné. Peut-être demain, peut-être au bout de ma parole, qu’importe ! Mais comment est-ce que je pourrais constater que je suis mort sinon en étant encore vivant ? Pour en prendre note, il faudrait encore que je sois, il faudrait être et ne pas être en même temps. Ce qui est une impossibilité pour notre niveau “expérientiel” de la réalité.

– Refuseriez-vous la possibilité de constater votre propre mort ? Vous, un homme de foi, ne croyez-vous pas à la survie de l’âme après la mort ?

– Nous n’en sommes pas pour le moment à discuter de l’immortalité. Le point que je veux faire ressortir ici, c’est le fait que pour constater son propre décès, la conscience — ou l’âme, comme on peut l’appeler dans un autre contexte de discussion — devrait vivre encore au présent dans un au-delà de l’expérience commune de la réalité. Le constat de la mort physique devrait se faire en même temps et du même souffle que celui d’être tou­jours présent — et donc vivant — au-delà du corps.

Ce n’est pas la conscience que je pourrai avoir de ma mort qui sombrera dans le passé mais ma dépouille. Le dynamisme vital au sommet duquel jaillit ma conscience pourra poursuivre sa route dans un ailleurs — que dis-je ? — dans un présent dont nous ne connaissons pas pour l’heure les modalités.

Partout où il y a la vie, cette vie doit nécessairement et inévitablement être au présent. Mais parce que notre conscience survient dans la con­dition de l’espace-temps, nous conceptualisons le présent comme un flot de moments successifs. Tant que nous le considérons comme un instant parmi un nombre d’autres, le présent n’est déjà plus là. Il nous échappe dès que nous cherchons à le circonscrire ou à le figer dans l’espace et le temps. Le présent ne peut être actualisé qu’à l’intérieur de soi. Il coïncide avec la conscience d’être vivant dans une intériorité qui n’a ni hauteur, ni largeur, ni profondeur physique. Il est branché au constat fondamental de l’être et à l’affirmation implicite qui initialise toute connaissance : JE SUIS VIVANT.

L’être, la conscience, la présence ! Des termes qui font référence au même phénomène et définissent la vie comme une réalité distincte de la matière. Ce dynamisme habite l’intériorité et fait irruption dans le mon­de spatio-temporel en jaillissant toujours et infailliblement au présent.

– Face aux forces brutales de la masse cosmique, le phénomène de la vie n’est-il pas une réalité marginale et bien fragile ?

– Un funambule marchant au-dessus de l’abîme spatio-temporel sur la corde raide du présent. Telle est l’image qui me semble bien symboliser la vie dans les organismes. Dans le monde visible, la vie apparaît comme suspendue à un tissu extrêmement serré de conditions que les forces maté­rielles menacent à tout instant de désorganiser. Cette fragilité laisse toute­fois entrevoir d’autres qualités de la substance vivante.

La vie n’est pas que présence. Elle est aussi un fluide continu. En ce sens qu’elle ne peut souffrir de rupture dans l’expression de son dynamis­me. L’énergie vitale ne peut être interrompue dans son élan pour ensuite re­prendre là où elle se serait arrêtée. La continuité vitale découle de l’exi­gence de se maintenir au présent. Une rupture impliquerait la perte du pré­sent, ce qui équivaut en définitive à la perte de la vie.

La mort constitue une rupture définitive de l’alliance entre la matière et la vie. La structure matérielle du corps se décomposera. Mais qu’advien­dra-t-il de la vie ? Se sera-t-elle volatilisée dans une non-vie, un néant ? Mais où est ce néant ? S’il est quelque part, c’est qu’il n’est pas néant.

Puisque le dynamisme vital surgit toujours dans l’étroite limite du pré­sent, la vie ne peut pas s’effacer elle-même par extinction. Car alors, elle devrait s’expulser de sa dimension propre d’être au présent pour se fondre au passé de l’espace et du temps. Ce qui aurait pour conséquence para­doxale qu’elle devrait être et ne plus être en même temps. Ce qui est contradictoire.

Nous pouvons donc conjecturer que le fluide échappé d’un organisme retourne à la réalité globale de la Grande Vie qui se manifeste au travers de l’ensemble des organismes vivants. Ainsi, la petite présence d’un orga­nisme particulier retournerait à la Grande Présence qui subsiste au-delà de la matière, au-delà l’espace et le temps.

Approfondissons cette pensée. Tout organisme a eu un commencement lorsque la vie a animé le germe initial et il a eu une fin lorsqu’elle a quitté la structure corporelle. Mais le principe vital en lui-même aurait-il eu un commencement et une fin ? Certainement, la substance vivante déborde les manifestations individuelles car elle anime tous les organismes, tant ceux qui existent actuellement que ceux qui ont existé dans le passé et existeront dans l’avenir.

Nous avons déjà comparé le pullulement des organismes vivants à la frange visible d’une réalité dont l’envergure devrait au minimum soutenir la comparaison avec l’immensité cosmique. Il s’ensuit que cette vaste réa­lité vivante, qui est comme la vie de toutes les vies, a une existence propre, indépendamment de toute référence à des organismes individuels, puisque son essence est d’habiter le présent. Au-delà de tous les temps de l’histoire cosmique, elle demeure présence atemporelle.

– Vous affirmez du même souffle que la vie se manifeste dans le temps au travers des organismes et subsisterait au-delà du temps dans une intangible dimension de présence ! Quelle preuve pouvez-vous avancer pour soutenir cette hypothèse ?

– Le présent est une énigme, une porte mystérieuse qui s’ouvre sur la connaissance de la vie. Parce que la vie se manifeste toujours au présent, j’en induis que cette substance énergétique transcende les organismes indi­viduels et dépasse les conditions de l’espace et du temps. S’il est vrai que les organismes vivants se succèdent et finissent, en s’évanouissant dans le passé, par se déstructurer, l’énergie vitale, elle, demeure nécessairement stable dans sa dimension propre.

L’organisme animé par la vie doit cependant combattre contre des forces adverses – les forces extérieures de la matière – pour se maintenir au présent. Un jour, il perdra la bataille, de sorte que le souffle vital ne parviendra plus à se maintenir dans le corps. Mais lorsque la vie aura quitté le corps de cet organisme, qu’adviendra-t-il de la présence de la vie ? Elle ne peut sombrer dans le passé comme la matière de l’organisme puisque sa substance même est le présent. La présence cessera-t-elle d’être ?

– Elle subsistera dans d’autres organismes…

– …et surtout, elle demeurera en elle-même. La présence n’a pas besoin du support des organismes vivants. Avant qu’ils existent, elle est en acte. Car la présence subsiste à chaque moment, à chaque point du parcours de l’espace et du temps.

– Ne postulez-vous pas gratuitement une sorte de super vivant qui serait plus un produit de l’imagination que de la réalité ?

– S’il faut conclure à une quelconque illusion, il faudrait plutôt parler de l’illusion de l’espace et du temps. Car tout ce qui existe, tout ce qui se fait s’accomplit toujours et infailliblement au présent. En vérité, il n’y a de réel que le présent. Le passé est comme un résidu, une trace, un fantôme laissé dans le monde matériel par une activité qui est toujours et infailli­blement produite dans l’étroite dimension du perpétuel présent. Quant à l’avenir, il n’est qu’une hypothèse, il n’est pas réel.

– Je poserai ma question autrement. Le fait que le présent existe avant tout support biologique implique-t-il nécessairement une “grande vie”, comme vous dites, antérieure aux organismes vivants ? S’il est parfaite­ment démontré que la vie se manifeste toujours au présent, rien ne prouve que le présent soit toujours un attribut de la vie.

– La question est capitale. Pour y répondre, prenons un peu de recul. Et plutôt que de nous en tenir aux organismes individuels, considérons l’en­semble du phénomène de la vie sur notre planète.

L’étude des fossiles permet de suivre la lente évolution des organismes, depuis les humbles débuts microscopiques des unicellulaires jusqu’à la conscience rationnelle humaine. Il faudrait être bien myope pour ne pas apercevoir dans cette manifestation globale un progrès dans le temps, une ascension vers une certaine destination, que nous ne sommes certes pas en mesure d’identifier à ce stade-ci de notre démarche.

Certains scientifiques voient cette montée sous l’angle d’une complexité croissante. Ils avancent l’hypothèse que l’évolution biologique s’accom­plit en partant de structures simples vers une organisation de plus en plus élaborée. Une tendance inhérente à la matière expliquerait cette complexité.

L’on peut en effet observer que la matière dans sa chute entropique va du simple au complexe, des particules aux grosses molécules en passant par les atomes. L’élaboration des premières cellules ne représenterait qu’un cran de plus dans la manifestation de cette tendance qui, toujours par voie de complexité, aurait abouti à l’émergence du cerveau humain, porteur de la conscience rationnelle.

Quoi qu’il en soit des mérites ou des insuffisances de cette théorie, il demeure paradoxal de constater que cette complexité va de pair avec une simplicité de plus en plus manifeste. N’est-il pas étrange que la complexité la plus extrême du corps humain soit le support de la simplicité la plus absolue qu’est la conscience ? Ce qui apparaît inextricablement complexe lorsqu’on l’observe de l’extérieur devient d’une simplicité totale lorsque l’on éprouve la conscience d’être à l’intérieur de soi !

Il est donc clair que cette simplicité ne tire pas son origine de la matière. Comment la matière pourrait-elle produire du même souffle la simplicité et la complexité ? La simplicité, selon la théorie de pointe des astrophysi­ciens, se trouve à l’origine — on se doit de le souligner fortement — et non à la suite de la chute entropique qui enclenche le processus de la com­plexité. Avant le “big bang”, expliquent les savants, l’énergie qui a donné naissance au cosmos est singulière, uniforme et homogène, c’est-à-dire dans un état de simplicité ou singularité absolue.

D’autre part, la simplicité n’est pas non plus l’apanage exclusif de la conscience humaine. Elle demeure l’expression de toute vie, même avant l’émergence de la conscience rationnelle et dès les toutes premières ébau­ches microscopiques au fond des océans ou marais primitifs de notre pla­nète. L’existence de la première cellule vivante suppose l’organisation archi complexe d’un nombre considérable de molécules. Mais il n’aurait pas suffi que le nombre requis d’éléments se retrouvent par hasard ensem­ble et dans le bon ordre pour faire exister une cellule vivante. Il a fallu que cette complexité soit synthétisée, simplifiée, unifiée. Et comment ? Par une force unificatrice et non productrice de complexité, soit le fluide vital. La différence fondamentale qui existe entre un amas quelconque de molécules et une cellule vivante, c’est ça, c’est cette énergie qui synthétise des éléments divers en un tout pour permettre le simple acte de vivre.

La simplicité de la substance vivante s’exprime donc avec constance tout au long de la montée des vivants au travers de l’espace et du temps. Elle est un facteur actif de l’ascension qualitative de la vie au cours des âges de la Terre, des balbutiements du début jusqu’à ce jour. La montée globale des organismes sur notre planète porte la signature de cette substance productrice de simplicité et en recherche de l’expression la plus adéquate pour traduire sa réalité dans le monde matériel. Le progrès de la vie n’est pas tant le produit d’une complexification des éléments que le résultat d’un investissement progressif de la matière par la simplicité de la vie, ce fluide vital qui subsiste dans une dimension que la logique contraint de postuler étrangère à l’espace et au temps.

L’évolution biologique n’est donc pas l’œuvre de la matière mais celle de la Grande Vie invisible qui traverse de part en part le cosmos. Cette Grande Vie s’est unie à la matière sur notre planète pour élaborer graduel­lement et patiemment des formes vivantes qui expriment de plus en plus et de mieux en mieux l’ÊTRE AU PRÉSENT.

– Puis-je formuler une critique ? Depuis que nous échangeons, vous introduisez dans votre exposé des concepts que vous ne définissez pas. De sorte que je reste sur ma faim. Je me demande souvent : « Qu’est-ce qu’il veut dire ? » C’est le cas notamment pour la notion que vous avancez d’une « grande vie » au-delà des organismes vivants. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui prouve l’existence de cette réalité ? Ne pourriez-vous pas être plus explicite ?

– Je suis désolé, cher ami, de manquer à ce point de clarté. Je me donne parfois l’impression d’être une larve dans la nuit qui avance à tâtons sur son ventre. Je souffre moi-même des infirmités de mon discours. Les mots me semblent si impuissants à traduire le réel ! J’ai longtemps rêvé de pro­duire une thèse dont les arguments seraient tissés les uns aux autres avec une telle rigueur et par un tel enchaînement logique qu’elle contraindrait tous les esprits honnêtes à reconnaître la vérité.

Après plusieurs tentatives avortées, j’ai compris que je ne pourrai ja­mais produire un tel discours. Et il n’y a pas que mes limites qui y fassent obstacles. D’autres raisons, qui ont un rapport avec la structure de la réa­lité, militent contre un exposé systématique fondé exclusivement sur la logi­que rationnelle. Le réel est plus grand que la logique. Dans la réalité, il existe des zones dont le savoir objectif ne peut rendre compte. C’est le cas notamment de plusieurs notions que nous avons étudiées jusqu’ici : l’être, la vie, la présence, etc. En bref, tous ces concepts que nous avons associés au phénomène de la vie.

Mais le fait que la raison ne puisse pas circonscrire ces notions ne signifie pas que nous ne puissions pas les connaître. Il implique seulement que pour accéder aux connaissances en question, il faille les ÉPROUVER et non les PROUVER. Plutôt que de chercher des preuves objectives de leur réalité, il faut se donner à soi-même ces preuves en les expérimentant. Ma recherche réclame donc certaines dispositions. Entre autres, celle du dé­passement des notions rationnelles par l’appréhension “expérientielle” du réel. Ce que je qualifie de connaissance intuitive.

Cette expérimentation commence par la prise de conscience de l’être en soi. La connaissance qui découle de cette expérience ontologique échap­pe au savoir élaboré par la raison. Elle est d’un ordre que je qualifie de quantique. Car elle ne fait pas abstraction du chercheur, contrairement aux connaissances objectives. En bout de ligne, elle réclame une adhésion, un consentement, une soumission à la vérité de l’être. Une telle exigence implique donc l’engagement de celui qui cherche. Elle en fait un sujet agissant qui amplifie la perception du réel en exerçant sa liberté.

À ma décharge, puis-je d’autre part faire remarquer que ce procédé d’introduire dans mon discours des notions non démontrées s’apparente à la méthode scientifique ? Pour progresser dans la connaissance, l’homme de science ne doit-il pas avancer d’abord une hypothèse dont il devra en­suite prouver la pertinence par l’expérimentation ? Analogiquement, je mets de l’avant certaines notions dont la suite du discours démontrera la valeur. Un discours non aseptisé par une rationalité bornée mais qui intégrera à son élaboration l’expérience de la vérité. Car la vérité n’est pas une notion purement objective ou abstraite mais, en toute cohérence avec ce que nous avons découvert jusqu’ici, elle se vit.

– Je peux reconnaître dans votre apologie une certaine authenticité. Mais concrètement, comment appliquer ces principes à la notion de la « grande vie » dont vous avez parlé ? Peut-on vivre la « grande vie » ?

– La paléontologie observe une progression du phénomène global de la vie sur notre planète. Au regard du scientifique, l’essor des structures vivan­tes se manifeste sous l’angle d’une élaboration graduelle. Dès le début des unicellulaires, les organismes ont été lancés sur une voie de complexité croissante. Si bien que le degré de complexité des structures vivantes per­met d’évaluer objectivement la place qu’occupent les organismes dans l’évolution. Plus une structure est complexe, plus elle est performante et plus elle est évoluée. Quelle est la cause d’un tel développement ? Révèle-t-il une intention ? Est-il planifié ? Est-il en quelque sorte voulu pour lui-même ? Voilà des questions souvent éludées au nom des exigences de l’ob­jectivité scientifique.

Or, il est bien évident que cette montée générale de l’évolution ne peut être causée par les organismes individuels. Aucun en particulier ne peut être tenu responsable du devenir de son espèce. Un organisme aurait-il déve­loppé un caractère nouveau au cours de sa courte vie que la transmission génétique de la modification aux générations suivantes ne pourrait être assurée pour autant. Les progrès évolutifs s’accomplissent lentement sur un très grand nombre de générations, affirment les disciples de Darwin. Il est donc clair qu’ils transcendent le pouvoir d’adaptation d’un spécimen particulier.

D’autre part, l’évolution ne peut non plus résulter des potentialités inhérentes à la matière. La fleur n’est produite ni par le terreau dans lequel la plante est enracinée ni par la lumière du Soleil dont elle se gorge pour vivre.

Certes, sa croissance est influencée par les conditions extérieures mais c’est du dynamisme vital déjà en puissance dans la graine à son origine qu’elle tire la capacité de se développer. Et c’est sous la poussée de ce même dynamisme qu’elle peut être amenée à subir des transformations, en solidarité et en continuité avec les générations antérieures.

Lorsque le contexte extérieur change, le phénomène d’adaptation à un nouvel environnement ne s’explique pas par le hasard des mutations ou par un soi-disant pouvoir que la matière possèderait en elle-même de provoquer des changements biologiques. Il ressort plutôt de l’aptitude inhérente à la substance vivante d’épouser des formes qui s’ajustent comme mâle et femelle aux conditions extérieures.

Il est donc clair que les transformations des structures vivantes relèvent d’un niveau qui transcende tant les organismes individuels que les espèces auxquelles ils appartiennent. Ces changements structurels sont tributaires de la substance vivante, cette Grande Vie dont nous parlons.

Pour rendre compte de la cohérence observée dans la sphère biologi­que, certains érudits invoquent l’intelligence de la nature, sans toutefois préciser le sens et les implications considérables de ce concept. Qu’est-ce que la nature ? Qu’est-ce qui sous-tend l’expression ? Ne réfère-t-elle pas implicitement à un ordre de réalités qui dépasse le niveau observable ?

Des biologistes en viennent même à concevoir l’ensemble du phéno­mène biologique comme un tout, une “ Mère” universelle à laquelle cer­tains donnent le nom de Gaïa, la divinité grecque. Ils observent une telle complémentarité écologique non seulement entre les espèces mais entre les divers âges du développement de la vie sur notre planète qu’ils recou­rent, pour expliquer cette interdépendance, au concept d’une entité sur-organique, un “grand vivant ” qui coordonnerait le développement des espèces. Il s’agit pour eux d’expliquer le fait que la vie crée elle-même les conditions d’un éventuel développement.

Car tout se passe comme si les structures vivantes d’un temps prépa­raient les conditions d’existence des suivantes. Par exemple, les algues, au tout début de l’aventure biologique, ont rejeté un déchet dont dépend au­jourd’hui la vie animale, et nous-mêmes forcément, pour respirer. Cette production d’oxygène, qui était un véritable poison pour les premières espèces d’unicellulaires, a été pourtant une condition incontournable des développements futurs de la vie.

Dans un autre contexte scientifique plus spécifiquement darwinien, l’on impute l’évolution à une série de mutations ; à des changements aléa­toires survenus “par hasard”, sans orientation, sans intention précise mais retenus par l’héritage génétique lorsqu’ils sont adaptés à l’environnement. Cette explication est bien insuffisante. Elle ne permet pas de rendre compte de la trajectoire générale des vivants. Seule l’évaluation qualitative peut faire apprécier l’ascension vertigineuse de ce parcours.

Au-delà de la matière et au-delà des organismes individuels, l’évolu­tion, correctement interprétée, parle le langage de la substance vivante. Elle démontre une orientation, un mouvement ascendant — et pourquoi pas un projet et des intentions ? — qui affecte l’ensemble du phénomène de la vie sur notre planète.

– La substance vivante poursuivrait un projet et serait motivée par des intentions ? Dans leur recherche de la vérité, les scientifiques rejettent a priori le finalisme, cette doctrine philosophique qui prétend expli­quer la réalité par des causes finales.

– Je comprends cette réserve et la respecte. Les scientifiques tiennent avant tout à éviter de recourir à des arguments qui court-circuiteraient, avec des réponses toutes faites, les problèmes rencontrés dans la quête de la connaissance. Je me réserve de revenir dans un autre entretien sur cette notion de finalité pour la clarifier.

Mais il n’est pas question ici de rendre compte de la substance vivante par des causes finales, extrapolées ultimement hors de toute référence à ce que nous pouvons expérimenter de la réalité. Dans ma perspective, ce n’est pas exclu mais nous n’en sommes pas à cette discussion. Il s’agit plutôt d’identifier la nature du phénomène de la vie en lui-même. Pour ce faire, nous ne devons pas le considérer à l’origine de sa manifestation, comme nous le ferions pour expliquer la matière, mais plutôt à l’aboutissement de sa trajectoire.

De notre point d’observation, c’est-à-dire du point de vue évolution­niste, nous sommes en mesure de dire que la substance vivante est ce qu’elle devient progressivement et de plus en plus dans sa manifestation biologi­que terrestre. L’évolution constitue un geste qui révèle la substance vivante.

Nous sommes en mesure de saisir le mouvement général accompli jus­qu’ici, depuis les balbutiements microscopiques jusqu’à la conscience hu­maine. De là, nous pouvons en extrapoler la direction ultime en prolon­geant cette mouvance. Si bien — permettez que j’anticipe — que nous devrons éventuellement constater qu’elle ne vise rien de moins que de se maintenir dans le perpétuel présent de la source première d’énergie dont nous ignorons pour l’heure la nature (voir l’illustration graphique).

– Derrière le phénomène des organismes individuels se tramerait donc un scénario qui ne serait pas encore parvenu à son dénouement ?

– Vous dites bien ! La trajectoire ascendante du phénomène de la vie s’effectue au-delà des espèces et dépasse considérablement les capacités d’adaptation des espèces et, a fortiori, des organismes individuels. Dans ces derniers, la substance vivante subit en fait un échec. Car elle ne par­vient pas à maintenir dans le perpétuel présent les structures qu’elle anime. Elle ne peut arrêter de manière permanente l’effet déstructurant de l’entropie de la matière.

Pour parer à cette dégradation, l’organisme, dans un premier temps, puise dans le monde extérieur les nutriments nécessaires au maintien de la vie. L’énergie obtenue permet non seulement sa croissance mais assure le renouvellement de ses éléments. Le corps prévient continuellement les pressions désorganisatrices que la matière exerce sur lui. Il doit se renou­veler pour continuer à vivre. Toutes les cellules dont il est formé doivent collaborer pour se regénérer les unes par les autres.

Mais il y a une limite à cette merveilleuse faculté. Les ligaments molé­culaires et cellulaires qui retiennent ensemble les divers éléments de l’or­ganisme — liens dont dépend la substance vivante pour former une unité vivante — finissent par se relâcher et se rompre définitivement. Vient un temps où la substance vivante ne peut plus maintenir dans l’unité les com­posantes matérielles de la structure organique. Le poids de la matière finit par l’emporter sur la tension énergétique de la vie. Finalement, en dépit d’une lutte acharnée pour se maintenir au présent dans l’organisme, la substance vivante quitte le corps. Cette capitulation de la vie face aux forces entropiques de la matière, c’est la mort !

Pour contrer cette inévitable fatalité, la substance vivante, dans un deu­xième temps, invente la reproduction. Si elle n’avait pas trouvé cette solu­tion, les choses en seraient restées à l’échec de l’extinction. Hypothétique­ment, elle aurait quand même pu investir la matière pré-organique pour l’animer mais cette prise de contrôle n’aurait duré qu’une seule génération. Des organismes vivants microscopiques (puisque la vie commence dans l’infiniment petit) auraient pu apparaître pendant un laps de temps très court seulement. De sorte que tout ce que la substance vivante a pu cons­truire par la suite n’aurait pu exister. Mais en donnant aux organismes la faculté de se dupliquer, elle a pu ainsi maintenir son lien avec la matière.

La reproduction est une étonnante invention. D’où vient cette faculté de se renouveler et de se multiplier ? Aucune espèce, aucun organisme particulier ne se l’est donnée. La reproduction n’est pas non plus un produit de la matière. La substance matérielle ignore ce processus. Elle n’a nul besoin de se multiplier car sa masse est toute donnée au début de l’espace-temps.

Il n’en est pas ainsi pour la substance vivante dans sa manifestation terrestre. À sa naissance sur notre planète, elle subsiste dans des conditions minimales, infimes, dérisoirement humbles. Ce petit presque rien s’accroît avec une telle exubérante profusion qu’il parvient à remplir la Terre entière de son grouillement merveilleux !

Contrairement à la matière qui subsiste stablement en toute conformité aux lois immuables qui la détermine, la substance vivante invente conti­nuellement du neuf en se diversifiant au fur et à mesure qu’elle avance dans la dimension spatio-temporelle. Dans sa quête, elle parvient ainsi, grâce au système de reproduction, à propulser les générations toujours plus haut sur l’échelle qualitative. Sans cette invention, un tel développement spectaculaire n’aurait pu exister.

Ainsi, la bataille qu’elle perd par la mort éventuelle des organismes individuels en raison de l’entropie, elle la gagne pour l’ensemble du phé­nomène des vivants par la reproduction. De sorte que le degré qualitatif atteint par les organismes pourra passer à une nouvelle génération, cette dernière étant appelée à son tour à porter plus haut encore le flambeau de la vie sur la trajectoire ascendante.

– Qu’est-ce qui détermine les organismes à inscrire leur développe­ment sur une trajectoire ascendante ?

– Le déterminisme qui pousse la substance vivante à s’élever de plus en plus vers la symétrie originelle ne relève pas des organismes indivi­duels. Pour le comprendre, on doit considérer le phénomène de la vie dans son ensemble et extrapoler sa destination à partir de la trajectoire parcou­rue jusqu’ici par les organismes. Ces derniers ne sont pas plus responsables de la trajectoire générale des vivants qu’ils ne le sont de la reproduction. C’est la substance vivante en elle-même qui a inventé les structures permettant le maintien et la multiplication des vivants. C’est encore elle qui propulse les espèces en direction de l’énergie primordiale.

– Qu’entendez-vous par cette énergie primordiale ?

– Elle est cette source énergétique d’où la matière a chuté pour prendre forme. L’astrophysique ne peut rien dire sur ce qui précède l’irruption de la matière dans la réalité. On se heurte au mur de Planck. On doit donc admettre ultimement une origine mystérieuse qu’on se doit de renoncer à expliquer scientifiquement.

À ce stade-ci de notre recherche, il n’est pas non plus utile d’identifier plus précisément la nature de cette source. Car en poussant plus loin le questionnement, on serait amené à glisser dans des considérations théo­logiques. Qu’il suffise donc, pour apercevoir le parcours ascendant de l’évolution, d’observer que le phénomène global de la vie se développe dans l’axe de la réappropriation de l’origine mystérieuse de la réalité.

L’élément déclencheur de cette ascension est inscrit dans les limites de la structure individuelle. C’est-à-dire, dans ses faiblesses et sa déficience ultime : la condition mortelle. C’est en effet la vulnérabilité des organis­mes qui provoque la substance vivante à enclencher le processus de la montée qualitative ascendante. Une vulnérabilité qui pousse les organis­mes à se tendre dans l’axe de la verticalité pour échapper aux conditions éprouvantes et hostiles vécues dans l’axe horizontal.

Tout organisme vivant résiste à la mort. Lancé dans la dimension spatio-temporelle, il tend nécessairement à se maintenir perpétuellement au pré­sent. L’échec de la substance vivante dans son union à la matière mobilise donc l’organisme dans une lutte de la dernière énergie pour ne pas perdre la vie.

Si la mort biologique n’existait pas, la reproduction ne serait pas utile. Si l’organisme n’était pas menacé d’extinction, il n’éprouverait nul besoin de se prolonger dans une progéniture. Il ne serait pas davantage sensible à l’appel l’invitant à dépasser les contraintes extérieures pour inscrire son existence ponctuelle dans la montée générale des vivants. Le système de reproduction peut certes assurer une certaine projection de l’entité orga­nique dans sa progéniture. Il ne console pas toutefois de l’échec rencontré du fait de la vulnérabilité et de la condition mortelle.

C’est pourquoi tout organisme vivant — qu’il soit une infime cellule au fond des mers ou un humain hautement conscient de lui-même — est viscé­ralement tendu vers la permanence de l’être. Dès l’instant où se mani­feste l’unité vivante la plus primitive que l’on puisse imaginer, cette entité ne peut faire autrement que de lutter désespérément pour maintenir en elle la continuité de la vie. Car, comme nous l’avons déjà dit, le fluide vital ne peut jamais souffrir de rupture.

Pour survivre, les organismes vivants doivent tout à la fois exploiter les éléments de la matière pour se nourrir et combattre les forces extérieu­res sans pourtant éviter la fin inéluctable, la faillite ultime. Cette défaite dramatique, pourtant, n’atteint pas le phénomène global de la vie qui con­tinue sa route au-delà de l’essor et de la chute de générations sur généra­tions. De sorte qu’au problème de la mort, la substance vivante peut répondre par la trajectoire ascendante, par l’élaboration de structures bio­logiques de plus en plus performantes aptes à contrôler, à neutraliser et, éventuellement, à finir par vaincre l’entropie de la substance matérielle.

– Votre vision ne manque pas d’originalité. Elle me semble nouvelle en ceci qu’elle explique l’évolution par un combat. Dans la ligne des recherches de Darwin, on explique l’évolution par la sélection natu­relle et l’adaptation aux conditions environnementales.

– L’incontournable besoin d’adaptation au contexte environnemental est certainement l’un des facteurs décisifs de l’évolution. C’est l’axe hori­zontal de croissance de la substance vivante qui le détermine. Il commande l’adaptation aux conditions terrestres changeantes, incluant celles créées par la mouvance des espèces. Pour assurer sa continuité dans l’espace-temps, il ne suffit pas que la substance vivante invente la reproduction. Elle doit encore pousser les organismes à s’unir au contexte environne­mental comme mâle et femelle épousent leurs formes respectives.

Pour mieux le comprendre, reprenons l’image de la vigne qui grimpe sur la surface abrupte du rocher. On la voit toute tendue vers la lumière et la chaleur pour inscrire sa croissance dans l’axe vertical. Cette verticalité dépend toutefois de sa capacité à s’accrocher aux aspérités de la pierre et à développer latéralement sa ramure afin de prendre appui et ainsi assurer la solidité de son essor vers les hauteurs.

Les évolutionnistes modernes sont généralement attentifs à la crois­sance horizontale. Mais comme la plupart adoptent au départ de leur démarche des présupposés matérialistes, ils constatent l’évolution mais sans pouvoir en déduire le véritable sens. Ils voient cette évolution comme le simple produit des conditions matérielles. Ils peuvent bien observer la montée des vivants mais sans toutefois pouvoir identifier l’origine et la destination de la singularité du vivant dans un univers gouverné exclusive­ment, selon ce qu’ils conçoivent, par l’ordre quantitatif de la matière. C’est pourquoi ils tirent de leur observation du phénomène de la vie une vision charcutée de la moitié du réel. Soit, la dimension de l’intériorité et son ordre qualitatif. Leur vision est donc partielle. Leur fermeture à la verticalité leur cause une cécité dont ils ne peuvent guérir qu’à la condition de reconnaître non pas un mais deux axes complémentaires de croissance de la substance vivante. Dans l’axe horizontal, l’évolution visera la reproduction et l’adap­tation des espèces aux conditions matérielles extérieures. Dans l’axe verti­cal, les mutations qualitatives produiront des structures de plus en plus performantes en vue de la capture de l’énergie primordiale et l’identifica­tion à la symétrie originelle.

< article_précédent ______________________________________________ article_suivant >


Les scientifiques peuvent observer une solution de conti­nuité entre l’élaboration de molécules de plus en plus complexes et l’ap­parition des formes vivantes primitives. Ce qui ne prouve pas pourtant que la vie est issue de la matière. Car la question demeure de savoir comment des molécules inertes, fussent-elles archi complexes, auraient pu se regrouper en des entités pour former des cellules capables de se reproduire.
Une fontaine qui sourd des profondeurs du sol doit renouveler sans cesse son eau pour demeurer source. Il en est de même pour la vie. Elle doit jaillir perpétuellement à l’intérieur de l’organisme pour le maintenir vivant au PRÉSENT.
Partout où il y a la vie, cette vie doit nécessairement et inévitablement être au présent. Mais parce que notre conscience survient dans la con­dition de l’espace-temps, nous conceptualisons le présent comme un flot de moments successifs. Tant que nous le considérons comme un instant parmi un nombre d’autres, le présent n’est déjà plus là.
La vigne est toute tendue vers la lumière et la chaleur pour inscrire sa croissance dans l’axe vertical. Cette verticalité dépend toutefois de sa capacité à s’accrocher aux aspérités et à développer latéralement sa ramure afin de prendre appui pour assurer la solidité de son essor vers les hauteurs. La plante grimpante ci-dessus illustre bien les deux axes de croissance de la substance vivante.
La substance vivante est ce qu’elle devient progressivement et de plus en plus dans sa manifestation biologi­que terrestre. Il s’ensuit que l’évolution biologique et humaine constitue un geste qui révèle la visée de la substance vivante, soit rien de moins que l’organisme apte à se maintenir dans le perpétuel présent de la source originelle d’énergie.

2 réponses à “9- Les modalités du vivant”

  1. Cet article peut étonner. Il propose une vision de la réalité aux antipodes de la pensée moderne, tant celle spontanée du niveau culturel courant de monsieur et madame Toutlemonde que des sciences et même, de la philosophie. Il soulève implicitement les problèmes contemporains d’intelligence de la réalité et avance une voie de solution. On se doit de prendre conscience du renversement radical de perspective qu’implique le concept d’une substance vivante irréductible à la matière. Contrairement à l’autre fondamentale, la matière, cette substance ne se manifeste que dans la dimension du présent. Ce qui en fait une réalité intemporelle (éternelle), indestructible (immortelle), qui ressort de l’esprit.
    Une question, une objection, un doute ??? La vie existe-t-elle vraiment comme substance ? Spontanément, nous associons le mot substance à la concrétude, à la tangibilité. Mais ce vocable désigne aussi des réalités invisibles et indétectables, sans référence à la matérialité. Par exemple, on évoque légitimement le concept de “substance divine”. Quant aux anges, ne sont-ils pas tous formés à partir d’une même substance, soit un mode existenciel que nous ne pouvons pas totalement cerner ?
    L’auteur, toutefois, ne s’engage pas sur le terrain de la spiritualité. On peut comprendre qu’il veuille éviter de brûler les étapes à venir de sa démonstration. Sa stratégie consiste à asseoir son discours sur une base neutre, exempte de présupposés. Question de toucher son interlocuteur à son niveau. Car, explique-t-il, « la vérité n’est pas une notion purement objective ou abstraite mais, en toute cohérence avec ce que nous avons découvert jusqu’ici, elle se vit. »

  2. Nicolas Tremblay

    Autre entretien extrêmement dense. Une des idées clés de cet entretien est le fait que « la vie ne connaît et ne peut connaître que la dimensions du présent ». Notre auteur y reviendra sans cesse. Dans ce sens, j’aime beaucoup l’image de la vie qui jaillit comme une source. J’utilise abondamment cette image dans mon « héritage spirituel ». La vie surgit en moi à chaque instant. Et dans un sens spirituel, j’ajouter que l’amour surgit aussi en moi à chaque instant. Et il y a donc un lien entre la vie et l’amour. Cela dépasse évidemment le cadre de la réflexion présente. Dans cet entretien, notre auteur fait le choix de ne pas discourir sur « ce qu’est la vie ». Et il aborde la question de la vie principalement d’un point de vue biologique comme en fait foi sa démonstration à partir de la reproduction.
    Dans mon essai sur « la structuration de l’être dans l’histoire », j’ai fait aussi un choix semblable en me limitant à « l’apparition des cellules vivantes » sans aborder de front la question de « l’apparition de la vie » qui pourrait ouvrir d’autres perspectives.
    Pour ma part, évidemment, en tant que croyant, voir la vie surgir d’une source c’est aussitôt y voir un lieu privilégié de rencontre avec Dieu, le Dieu vivant, le Dieu présent.
    Dès le départ (p. 112), notre auteur place un schéma pour expliquer que « la matière crée en quelque sorte l’espace qui conditionne son existence ». Cela n’est pas sans me rappeler une des approches privilégiées par Stephen Hawking que j’appelle les cercles de l’espace-temps.
    Pour ce qui est de la grande thèse de notre auteur concernant « la substance vivante », je dois avouer que je n’arrive pas encore à en comprendre toutes les nuances. Quelque chose d’essentiel m’échappe encore. « La substance vivante déborde les manifestations individuelles car elle anime tous les organismes, tant ceux qui existent actuellement que ceux qui ont existé dans le passé et existeront dans l’avenir » (p. 115).
    Sur la question du présent, nous reviendrons sans doute pour développer le fait que le présent assume tout le passé et dépend de lui. Quant à l’avenir, le présent en porte, au moins en partie, la semence. Mais peut-être pas entièrement car « la vie surgit comme une source » et donc, elle n’est pas le résultat du passé. Il y a dans la vie quelque chose de toujours neuf.
    C’est d’ailleurs un peu en ce sens que va l’autre volet de la réflexion concernant la perception du réel et l’expression rationnelle de cette perception. « Le réel est plus grand que la logique » (p. 118). On pourrait peut-être y voir une allusion au proverbe bien connu : « L’amour a ses raisons que la raison ne comprend pas ». Quoi qu’il en soit, il vaut la peine de relire les quelques paragraphes qui suivent cette phrase et tentent d’en rendre compte. Le chercheur est « un sujet agissant qui modifie la perception du réel en exerçant sa liberté ». Pour ma part, j’aime parler de « l’univers de sens ». Chacun a son propre univers de sens et, en quelque sorte, lorsque je regarde l’univers extérieur, ce sont deux univers qui se rencontrent et, en quelque sorte, se modifient réciproquement. Théoriquement, mon univers de sens intérieur devrait être le seul modifié et s’ajuster à l’univers extérieur qui, lui, semble fixe. Mais les choses ne sont pas ainsi. Bien que ma perception ne modifie pas en soi l’univers extérieur, il est modifié en moi dans la perception que j’en ai. Et tout mon agir va partir de cette perception modifiée de l’univers extérieur. Je vais interagir avec lui, non pas à partir de ce qu’il est en lui-même, mais à partir de l’idée que je m’en suis fait. Et alors, comme moi, en tant que vivant, je suis toujours dans le présent, alors que l’univers extérieur, lui, a une longue histoire, je suis constamment en train de modifier le passé. Et c’est ainsi que je l’intègre dans le présent qui devient, à chaque instant, l’avenir du moment où je l’ai perçu.
    Par la suite, notre auteur aborde un autre volet de la vie, la relation entre la complexification des êtres vivants et leur absolu simplicité. Je trouve cette réflexion fort intéressante. Toutefois, à première vue, elle ne semble pas être propre à la vie. Il en est de même, me semble-t-il, à toutes les étapes de transformation de la matière. Lorsque notre auteur affirme : « Il n’aurait pas suffi que le nombre requis d’éléments se retrouvent par hasard ensemble et dans le bon ordre pour faire exister une cellule vivante » (p. 117), il me semble que nous pourrions appliquer cela aussi aux atomes et aux molécules. Le noyau d’un atome n’est pas un amas de proton et de neutrons, mais un agencement unifié par l’énergie nucléaire. Un atome n’est pas un amas de noyaux et d’électrons, mais un agencement unifié par l’énergie électro-magnétique. Une molécule n’est pas un amas d’atomes, mais un agencement unifié encore par l’énergie électro-magnétique sous une autre forme. Et ainsi, la cellule vivante n’est pas un amas de molécule mais un agencement de molécules unifié par « l’énergie vitale ». Et alors, cette énergie vitale, ce fluide vital devient une force à l’œuvre dans l’univers, aussi objective que l’énergie nucléaire ou l’énergie électro-magnétique.
    Notre auteur introduit ensuite une hypothèse fort audacieuse qui mérite d’être approfondie : « Le phénomène d’adaptation […] ressort plutôt de l’aptitude inhérente à la substance vivante d’épouser des formes qui s’ajustent comme mâle et femelle aux conditions extérieures ». (p. 120).
    Dans la même ligne aussi, notre auteur oppose matière et vie sur un autre point. « Il s’agit plutôt d’identifier la nature du phénomène de la vie en lui-même. Pour ce faire, nous ne devons pas le considérer à l’origine de sa manifestation, comme nous le ferions pour expliquer la matière, mais plutôt à l’aboutissement de sa trajectoire ». L’idée est séduisante. Personne n’aurait pu imaginer ce qu’allait devenir les organismes vivants en considérant uniquement les premières cellules. Personne ne pourrait imaginer que ce que deviendrait un être humain uniquement en considérant l’ovule fécondée qu’il était au début de son existence. C’est en se développant qu’il manifeste ce qu’il était dès l’origine. Mais cela ne pourrait-il pas être dit aussi, d’une certaine manière, de la matière elle-même, et du cosmos tout entier ? Mais l’idée, de toute façon, est que la vie (et peut-être la matière elle-même) manifeste au fur et à mesure de son développement, ce qu’elle est ou était dès l’origine. Et non pas l’inverse. Elle ne s’invente pas au fur et à mesure de son développement. Fort audacieux comme thèse !
    Évidemment, quand notre auteur dit « C’est la substance vivante en elle-même qui a inventé les structures permettant le maintien et la multiplication des vivants » (p. 124), il ne semble que redire, en d’autres mots, ce que plusieurs prêchent : « La nature a fait ceci ou cela… L’évolution a fait ceci ou cela… La vie a fait ceci ou cela ». Évidemment, il ne veut pas dire que c’est Dieu qui l’a fait. Mais en bout de ligne…
    Évidemment, la conclusion de cet entretien est grandiose et suscite un réel intérêt à poursuivre la lecture. Une brèche est ouverte dans la lamentable présentation darwinienne du phénomène si merveilleux de l’évolution des espèces.

Laisser un commentaire