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5- La genèse de la matière

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C’est maintenant votre tour, cher Albert, de souffrir ma démarche de conciliation entre foi et science autour de l’évolution biologique et humaine. Je vous remercie pour votre patience pendant mon échange avec Christian. Je comprendrais que mon discours, à partir des données d’une foi que vous ne partagez pas, n’ait pu guère soulever votre intérêt.

Albert : Bien au contraire, le discours religieux m’intéresse, ne fut-ce que pour le remettre en question. Puis-je tout de même vous dire ma surprise en regard de votre interprétation de la Bible ? Votre approche me dispense d’une critique que j’aurais volontiers formulée face aux présumées révélations bibliques. En vous portant ainsi au-devant de mes objections, vous me coupez l’herbe sous le pied. Mais je dois aussi vous avouer que votre exposé m’a fait voir plus positivement l’option religieuse, que je continue pourtant d’estimer incompatible avec la démarche scientifique.

– J’apprécie votre ouverture. Vous étonnerai-je encore si je vous déclare mon adhésion sans réserve aux authentiques postulats scientifiques ? J’en­dosse entièrement et avec enthousiasme, les méthodes de recherche qui permettent d’accéder à la connaissance objective… sans pourtant en éprou­ver de conflits avec ma foi.

– Qu’entendez-vous par ces « authentiques postulats scientifiques » ? Je ne sache pas qu’il puisse en exister d’inauthentiques puisque le pre­mier souci de toute science est la vérité.

– Dans les discussions, on a quelquefois tendance à abuser des sciences pour soutenir des thèses et des opinions qui ne relèvent pas de leurs com­pétences. Un exemple dans la ligne de la discussion précédente : il n’appar­tient pas aux sciences positives de conclure ou non à l’existence de Dieu. Dieu ne se découvre pas à l’autre bout d’une lunette micro ou macroscopique.

Par le seul moyen des sciences, l’homme ne parviendra jamais à une certitude dans un sens ou dans l’autre. Pourrait-il extrapoler de l’obser­vation de l’ordre dans l’univers une Intelligence créatrice toute-puissante ? Son constat ne serait pas démontrable par les méthodes de l’expérimenta­tion et devrait donc être jugé comme un a posteriori extra scientifique. Pourrait-il se servir du fait de l’absence de Dieu à la fine pointe de ses instruments pour conclure à son inexistence ? Il rééditerait alors l’argument frivole d’un cosmonaute soviétique déclarant à son entrée dans l’espace qu’il ne voyait Dieu nulle part dans le cosmos, une preuve, selon lui, qu’il n’existait pas.

Si Dieu existe, il va de soi qu’il n’est pas du même ordre de réalité que le monde matériel que nous percevons par nos sens ou par les instruments que nous inventons pour les prolonger dans le micro ou le macrocosme. La grande majorité des humains, des plus primitifs aux plus civilisés, le savent : le concept de Dieu fait nécessairement appel à une dimension spi­rituelle intangible.

C’est pourquoi la discussion sur l’existence ou l’inexistence de Dieu ne peut être résolue par les sciences, exclusivement ordonnées à la maté­rialité. À l’autre extrême de la démarche rationnelle, la question ne con­cerne pas non plus la théologie. La théologie ne discute pas sur l’existence de Dieu ; elle part du postulat qu’il existe, sinon elle ne serait pas théologie.

– De quelle discipline relève donc cette question ?

– De la philosophie. En termes simples, la philosophie est une recher­che de la vérité à partir du donné global de la réalité. Le discours philoso­phique n’exclut aucune dimension et, contrairement aux sciences, ne se spécialise en aucun champ particulier de la réalité. Sa perspective est la plus générale que la rationalité puisse concevoir. Elle circonscrit sous son regard aussi bien le domaine de la théologie que celui de la physique, tout en respectant l’aire de compétence de chaque démarche.

Un scientifique peut légitimement affirmer, comme tout autre personne, qu’il ne croit pas à l’existence d’un Esprit divin. Mais il ne peut justifier son incroyance par la science. Son athéisme ressort soit d’options philo­sophiques – et il devrait alors être disposé à en discuter à un autre niveau que celui des hypothèses scientifiques – ou il tient d’un parti-pris préalable à toute discussion. Une disposition très peu scientifique, n’est-ce pas ? En définitive, croire ou non en Dieu relève d’un choix fondamental, une option existentielle dont le bien-fondé ou le non-fondé ne peut être établi que par le discours philosophique.

– Je vous concède que l’athéisme puisse constituer un a priori au même titre que la croyance. Mais telle n’est pas ma position. Je ne suis pas athée. Je n’affirme pas que Dieu n’existe pas. J’ignore simplement s’il existe ou n’existe pas. Dans le contexte qui est le mien, la question ne me semble pas pertinente. Et même, le fait de prendre en ligne de compte des présupposés théologiques risquerait de faire perdre l’objectivité requise pour accéder à la vérité scientifique.

– Vous êtes agnostique et vous estimez qu’une neutralité au regard de la foi est essentielle à la démarche scientifique. Vous craignez que le recours facile aux notions religieuses biaise, freine ou bloque la quête de la vérité objective.

J’admets qu’il y a là un réel danger. Nombreux sont les croyants qui se contentent de réponses toutes faites face aux énigmes auxquels l’esprit humain est confronté. Il leur manque la curiosité requise pour scruter, au-delà des présupposés et des préjugés culturels souvent déguisés sous des oripeaux religieux, les causes sous-jacentes à la réalité. Mais remarquez que cette attitude n’est pas spécifiquement religieuse. Elle me semble plu­tôt liée à la culture.

En revanche, la liste des scientifiques de grande valeur qui ont été de fervents croyants serait longue. La foi n’a pas empêché Copernic, Galilée, Newton, Pasteur et tant d’autres de révolutionner les connaissances par leurs découvertes. Elle ne met aucune entrave à la recherche de milliers de croyants actuels qui œuvrent dans diverses disciplines scientifiques.

– Sans doute savent-ils mettre leur foi entre parenthèses avant d’amor­cer leurs travaux. Mais du moment que l’on sait que la Terre tourne sur son axe et gravite autour du Soleil, est-il encore pertinent de se référer à la parole de Jésus affirmant que Dieu « fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants » ?

– Vous avez raison de refuser l’interprétation scientifique de cette paro­le. Dans le langage populaire, toutefois, l’on peut encore référer au lever et au coucher du Soleil sans que cela remette en cause les connaissances astro­nomiques actuelles. La parole que vous citez ne vise évidemment pas à fournir des connaissances sur les éléments de la nature. Il s’agit plutôt d’une sentence de sagesse concernée par les rapports sociaux. Et à ce titre, il demeure toujours pertinent de s’y référer.

Mais passons ! Je retiens que votre imprescriptible respect de l’autono­mie de l’univers vous pousse à refuser l’hypothèse d’un Créateur. Tout se tient si bien dans l’univers que vous ne voyez pas l’utilité de recourir à une Cause extrapolée au plus haut des cieux. Vous voyez une telle admirable continuité entre les réalités diverses que vous ne pouvez soutenir l’idée d’une faille, d’une rupture, d’une déchirure dans le tissu extrêmement bien tricotté de la réalité. Entre la complexité inimaginable du moindre orga­nisme vivant et les éléments en fusion au cœur des étoiles, vous refusez d’attribuer une place à des interventions arbitraires d’un Être Suprême.

– Pour moi, la réalité s’explique par un enchaînement de causes et d’effets produits par la matière, depuis les plus infimes particules jus­qu’à la pensée en l’homme. Et c’est précisément la responsabilité de la science de mettre à découvert les lois qui gouvernent ce jeu de for­ces, de manière à développer les applications concrètes des connais­sances ainsi acquises. La science démontre la valeur et la légitimité de sa méthode par l’efficacité des résultats qu’elle obtient dans la recher­che de la vérité.

– Vous ramenez tout ce qui existe à la matière, n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce que la matière ? Je sais bien que voilà une question à laquelle s’attachent précisément les sciences. Mais sont-elles parvenues, et par­viendront-elles un jour, à dévoiler son mystère, à dénouer tous ses secrets ?

Les astrophysiciens cherchent des réponses à cette question dans les étoiles. Ils ont découvert que les galaxies s’éloignent les unes des autres à une vitesse proportionnée à leurs distances. Ce qui démontre que le cosmos est en expansion depuis son origine. C’est-à-dire depuis l’événement ini­maginable – appelé dérisoirement “big bang” – qui lui a donné naissance.

En pénétrant de plus en plus loin dans le cosmos par leurs instruments, ces savants voient le temps et l’espace à rebours. Car plus ils avancent dans leur perception des corps cosmiques à des milliards d’années-lumière de la Terre, plus ils s’enfoncent dans le passé de l’univers. Ils sont si bien parvenus à dérouler à l’envers le film du début du cosmos imprimé dans le temps et l’espace sidéral qu’ils peuvent décrire le scénario fantastique de ses premières secondes, il y a 13,8 milliards d’années.

Au temps zéro, affirment-ils, toute la matière future de l’univers – avec ses myriades d’étoiles et de galaxies – est contenue dans un infime point plus petit qu’un noyau d’atome. D’une chaleur et d’une densité inimagina­bles, ce point infime s’est dilaté pour atteindre la grosseur d’une pomme. Proportionnellement parlant, expliquent-ils, la dilatation de cette période, si brève qu’il faut la calculer en milliardième de seconde, est plus importante que l’expansion de l’univers qui suivra par la suite jusqu’à nos jours.

La boule de dix centimètres dont il est question est entièrement homo­gène et ne contient pas la moindre parcelle de matière. Elle est un champ de forces d’une énergie incommensurable, formé de particules originelles qui ont ensuite donné naissance aux quarks, aux électrons, aux photons, aux neutrinos, etc.

Cette génération de particules a commencé à dessiner des irrégularités dans l’homogénéité initiale du cosmos. De sorte que lorsqu’il a atteint la taille d’un ballon, il était parcouru de stries microscopiques qui, en pour­suivant leur expansion, ont donné naissance aux galaxies. L’on peut désor­mais pressentir le reste : la formation de notre système solaire dans notre galaxie de la Voie lactée, puis l’apparition de la vie sur notre planète. En conséquence du scénario époustouflant de la naissance de la matière, rien ne pourra plus arrêter l’expansion d’un univers qui se fait de lui-même en déployant, depuis son énergie initiale, les éléments de son évolution. Tout se tient. La vision scientifique est cohérente. Elle est sans doute suffisamment démontrée.

Mais, ne croyez-vous pas, cher Albert, que le fait de reconnaître une naissance à l’univers, un début absolu, implique la présence d’un élément antérieur quelconque ? Quelle a été la cause du déclenchement de l’explo­sion originelle ? Ne pourrions-nous pas formuler ici l’hypothèse d’un Ini­tiateur extratemporel de l’univers ?

– L’astrophysique se heurte ici au “mur de Planck”, ainsi nommé d’a­près le célèbre physicien allemand, qui a démontré l’impossibilité d’ex­pliquer le comportement des particules dans un champ de gravité ex­trême. On ne peut rien apercevoir derrière ce mur. Pour le moment, du moins ! Ce qui ne justifie pas d’accoler l’étiquette de créateur sur notre ignorance. Les hommes de jadis ont pu croire que le tonnerre était la voix de Dieu tant qu’ils en ont ignoré la cause. De même, le fait que nous ignorions ce qu’il y a derrière le mur de Planck ne doit pas nous servir de prétexte pour projeter l’image d’un créateur. Et c’est ici que se vérifie l’inconvenance de l’intervention religieuse dans le débat scientifique. Car se satisfaire d’une telle réponse toute faite conduit à cesser de chercher la vérité.

– Cher Albert, j’ai pu mal formuler ma question. Je ne soutiens pas qu’il faille présumer l’existence de Dieu derrière le mur de Planck. Le supposer contredirait le principe établi au départ de notre discussion. À savoir que les sciences, étant ordonnées à la matière, ne pourront jamais débou­cher sur une cause d’un autre ordre. La question de Dieu, comme nous l’avons dit, relève de la philosophie. Alors, discutons à ce niveau tout en tenant compte des notions astrophysiques.

Lorsque j’ai avancé l’hypothèse d’un Initiateur de l’univers, je ne pré­tendais pas référer à la cause initiale d’un univers qui fonctionnerait par la suite mécaniquement. Selon cette conception, Dieu aurait donné l’impul­sion première à la matière, sans plus. Il se serait contenté d’une chique­naude pour démarrer le grand tout, pour déclencher une succession de causes et d’effets dont l’enchaînement aurait produit ce que nous voyons aujourd’hui, et même, ce que nous sommes.

Cette représentation ménage la chèvre et le chou en prétendant réconcilier le principe de l’autonomie de la nature avec l’idée de création. Vous avez raison de rejeter le concept du Deus ex machina (Dieu de la machine), car il n’est ni conforme aux justes représentations philosophiques ni fidèle aux dogmes religieux.

Les philosophes de l’Antiquité ont bien développé la notion d’une Cause première de l’univers mais ce n’est pas dans le sens d’une première impul­sion de même niveau que les causes efficientes. La Cause première n’est pas qualifiée ainsi parce qu’elle est la première dans l’ordre temporel mais parce qu’elle est la Cause transcendante de toutes les causes secondes. Elle les chapeaute toutes, de la première à la dernière.

C’est sur cet arrière-fond que je me questionne au sujet de l’existence du temps et de l’espace en eux-mêmes. Le fait qu’il y ait un commen­cement et une direction à l’univers ne devrait-il pas nous intriguer ? D’où vient l’univers et où va-t-il ? Comment a-t-il pu surgir inopinément dans la réalité et parcourir une trajectoire dans le temps ? Qu’est-ce qui fait qu’un univers se déploie dans l’espace et le temps ?

– Le temps est une notion relative. Nous le mesurons d’après les rota­tions de la Terre autour du Soleil. Mais qu’en était-il avant que la Terre et le Soleil existent ? Le temps n’avait pas du tout la même valeur lorsque toute l’énergie à l’origine de la matière de l’univers était con­centrée dans une boule de la grosseur d’une pomme.

– Selon la théorie de la relativité, la durée d’un instant infinitésimal au début de l’univers équivaut proportionnellement à des milliards d’années de notre temps actuel. C’est la densité et l’intensité des événements qui expliquent cette expansion temporelle. Si bien que plus l’on régresse vers le temps zéro, plus l’on approche d’un ordre du temps qui ressemble à quel­que chose comme l’éternité. Mais quel que soit le nombre de zéros qu’on voudra ajouter aux fractions en régressant dans le temps, l’on n’arrivera jamais à l’antithèse du temps, c’est-à-dire à l’éternité parce que le temps et l’éternité – tout comme la Cause première et les causes secondes – ne sont pas du même ordre et ne se rejoignent pas.

Ce qui me préoccupe actuellement, c’est la conscience que l’univers ait eu un point de départ, un commencement. Depuis cette naissance, il subit un développement, il poursuit un parcours, il est traversé par une histoire dont nous ignorons pour le moment la conclusion…

– Peut-être n’y a-t-il pas de conclusion à cette aventure ? Au temps zéro, la matière n’existe pas encore. On parle d’un champ de force uniforme, homogène. De l’énergie pure ! Peut-être que l’émergence de l’univers tient d’une irrégularité accidentelle dans l’homogénéité de l’énergie primordiale ? Ce déséquilibre fortuit aurait pu déclencher la dilatation qui a créé les particules élémentaires de la matière et, du coup, l’es­pace et le temps.

– Mais comment ce qui est absolument homogène et uniforme – et ne peut subir la moindre fluctuation pour demeurer tel – peut-il tout à coup être le théâtre d’un accident fortuit ? Un tel accident n’indiquerait-il pas l’entrée en scène d’une cause d’un tout autre ordre ? Je sais que certains scientifiques font ici appel à la notion de hasard. Mais le hasard n’est-il pas aussi une béquille – tout comme une certaine notion accessoire de Dieu que vous avez déjà dénoncée –, une étiquette commode que l’on épingle sur son ignorance… ou sur le refus de reconnaître une Cause transcendante à l’espace et au temps ?

Voici ! Nous sommes rendus au mur de Planck, c’est-à-dire jusqu’au bout de notre capacité de voir dans la direction de l’origine de la matière. Présumons que nous ne pourrons jamais aller plus loin. Car il est probable que nous ne pourrons jamais concevoir, au strict plan scientifique, ce qui existe avant l’espace et le temps parce que nous sommes nous-mêmes, avec nos instruments de mesure et nos méthodes de recherche, des êtres prisonniers de l’espace et du temps.

Nous sommes donc parvenus jusqu’au bout de notre quête de vérité objective. Nous avons épuisé toutes nos hypothèses scientifiques. L’heure n’est-elle pas venue de nous élever à un autre niveau pour poser la ques­tion, non plus du comment mais du pourquoi ? Pourquoi y a-t-il du temps et de l’espace ? Pourquoi y a-t-il de la matière et non pas rien ?

– La matière existe-t-elle vraiment ? Des savants en viennent à mettre en doute notre conception spontanée d’une matière tangible. Ils con­çoivent la réalité dans son fond comme un champ de forces non maté­rielles, un treillis d’interrelations qu’ils peuvent ramener à des équa­tions mathématiques.

– Après n’avoir juré que par la matière, ils en viennent à mettre en doute son existence et aboutissent à une conception quasi “spirituelle” de la réalité. Mais la soustraction de toutes les particules élémentaires peut-elle donner résiduellement de l’esprit ? Et au temps zéro, devrait-on con­clure que la matière n’existe pas parce qu’elle est inatteignable dans son dernier retranchement ? Cet état ne devrait-il pas plutôt être vu comme la matrice à partir de laquelle la matière a été en quelque sorte engendrée ?

Une matrice qui porterait toutefois la signature de l’esprit. Car si ce qui fonde la réalité peut être exposé sous la forme d’équations mathématiques, c’est que le fondement universel est intelligible. Mais bien avant que l’hu­manité ait pu en décoder les paramètres, cette intelligibilité a pu être potentiellement active puisqu’elle conditionne l’existence même de la ma­tière. Par conséquent, n’est-il pas légitime d’induire qu’elle procède de la pensée d’un grand Mathématicien ?

Albert Einstein en avait une intuition très forte. Il considérait comme l’un des plus grands mystères le fait que l’univers soit accessible à l’esprit et que les paramètres universels puissent être traduits dans le langage pur des mathématiques. Bien qu’il se voulût agnostique au début de sa carrière, il rapportait cette intelligibilité à une Intelligence suprême. Dans The World As I See It, il a écrit, en parlant des dispositions du savant dans sa recherche de la vérité, une sorte d’acte de foi que j’ai traduit de l’anglais.

Son sentiment religieux prend la forme d’un émerveillement extatique devant l’harmonie de la loi naturelle, qui révèle une intelligence d’une supériorité telle que, par comparaison, toute la pensée systématique et l’action des êtres humains sont un reflet absolument insignifiant.

– Tout comme Albert Einstein, je constate que l’intelligibilité de la na­ture pointe en direction d’une intelligence universelle. Mais comme lui aussi, je refuse d’associer cette intelligence à un Dieu personnel doué d’intentions et de volonté, à un gardien de la morale qui rétribuerait les méchants et récompenserait les bons. Pour moi, cette intelligence est immanente à la nature et non extrapolée dans une inaccessible transcendance.

– Je vois que vous tenez à préserver le postulat de l’autonomie de la nature. Mais ce principe est-il vraiment menacé par l’existence d’un Dieu transcendant ? Supposons que vous passiez devant le chantier de cons­truction d’un édifice. Vous admirez le jeu de poutres mises en place et vous constatez qu’elles ont été agencées méticuleusement. Ces poutres n’ont pas été placées là par hasard. Vous ne doutez pas du tout que cette structure ait été créée par un architecte qui a d’abord dessiné les plans et devis de la bâtisse avant de les confier à l’entrepreneur.

Or, je vous le demande, le fait de reconnaître dans cette construction la pensée et l’intention d’un architecte peut-il remettre en cause la stabilité et l’autonomie de l’édifice ? Bien au contraire, l’on peut présumer que l’ar­chitecte savait ce qu’il faisait. Un jour, lorsque les travaux de construction seront achevés, ces poutres disparaîtront derrière les finitions extérieures et intérieures mais elles n’en continueront pas moins de soutenir l’édifice en jouant le rôle que l’architecte leur avait dévolu au départ.

N’en est-il pas de même pour la structure de la matière ? Les poutres qui soutiennent l’édifice, ce sont les quatre forces universelles (la gravité, les interactions forte, faible et électromagnétique) ainsi qu’un petit nombre de constantes cosmologiques (comme la vitesse de la lumière) que la phy­sique exprime par des équations mathématiques d’une grande précision. Or, nous disent les scientifiques, si une seule de ces constantes avait été légèrement modifiée au départ, le cosmos n’aurait pu naître ou, à tout le moins, n’aurait pas été un lieu favorable à l’éclosion de la vie. Par exem­ple…

Si la densité initiale de l’univers s’était écartée un tant soit peu de la valeur critique qui était la sienne dans l’infinitésimale fraction de seconde après le “big bang” (10-35), l’univers n’existerait pas.

Si l’on augmentait d’à peine 1 % la force nucléaire qui détermine la cohésion des noyaux atomiques, toute possibilité de formation de noyaux d’hydrogène indépendants serait exclue. Si bien que, l’hydrogène ne pouvant se combiner à l’oxygène, il n’y aurait pas d’eau, le milieu néces­saire à l’éclosion de la vie.

Par contre, une légère diminution de la même force empêcherait la fusion des noyaux d’hydrogène, qui est le combus­tible des étoiles. Dans un univers privé de fusion nucléaire, il n’y aurait pas eu de soleils, la source d’énergie indispensable à l’élaboration des structures vivantes.

Une augmentation très légère de la force électromagnétique serait tout autant problématique. Elle renforcerait les liaisons entre les électrons et le noyau atomique de sorte que les réactions chimiques résultant du transfert d’électrons vers d’autres noyaux ne seraient plus possibles. Dans un tel univers, plusieurs éléments ne pourraient se former, si bien que les molécules d’ADN n’auraient aucune chance d’apparaître.

Enfin, si la force de la gravité avait été à peine plus faible, les nuages d’hydrogène des débuts n’auraient pu se former pour atteindre le seuil critique de la fusion nucléaire, de sorte que les étoiles n’auraient jamais pu s’allumer.

Dans le cas contraire, une légère augmentation de cette force aurait provoqué un emballement de la fusion nucléaire, créant ainsi des étoiles de si courte durée que la vie n’aurait pas eu le temps de se développer dans un système planétaire (source : Wikipédia).

Des dizaines d’autres exemples sont avancés par les astrophysiciens. Ils démontrent que l’existence de notre univers est conditionnée par des paramètres réglés avec une précision vertigineuse. Pour donner une idée de la finesse de ce réglage, l’un d’eux l’a comparée à la prouesse d’un golfeur qui, depuis la Terre, parviendrait à placer sa balle dans un trou sur Mars.

La précision de ces paramètres universels ne permet-elle pas d’aperce­voir ici la charpente qu’un Architecte a établie au départ de l’univers en vue d’y développer éventuellement les structures, autrement plus com­plexes encore, de la vie sous toutes ses formes ?

– Un astrophysicien anglais, Brandon Carter, a formulé en 1974 le “principe anthropique” selon lequel l’univers possède exactement les propriétés requises pour l’émergence de l’intelligence et de la cons­cience. S’il y avait, ne fut-ce que de faibles écarts dans les constantes cosmologiques, nous ne serions pas là. L’univers est tel parce qu’il ne pouvait être autrement. Vous soutenez qu’il est tel parce qu’il a été planifié. Ne serait-ce pas plutôt par nécessité ? Il ne peut exister qu’à la condition de remplir toutes les conditions de son existence !

– Justement ! Nous pourrions en rester à ce constat si l’univers était éternel. Nous pourrions alors raisonnablement conclure qu’il est à lui-même sa propre cause. Mais l’observation de l’expansion cosmique démontre irré­futablement qu’il a eu un commencement. Il subit encore l’impulsion for­midable de son émergence dans la réalité, il y a près de 14 milliards d’an­nées. En toute logique, ce fait initial d’un début entraîne la conséquence que l’univers n’a pu se donner à lui-même les paramètres qui conditionnent son existence. Car pour ce faire, il faudrait qu’il ait préexisté, il faudrait qu’il ait déjà réalisé toutes ses potentialités, et davantage encore, avant de commencer à exister, ce qui est absurde. Nous aurions ainsi un univers causé par sa préexistence qui agirait alors sur lui comme un déclencheur.

– Une préexistence, dites-vous, mais pourquoi pas un hasard ou un accident ?

– Le hasard ? Le tissu très serré des constantes fondamentales est là pour démontrer que dans cet univers-ci, rien, mais rien du tout n’est laissé au hasard. Tout se tient et chaque élément de la structure est nécessaire à l’en­semble. Un univers dont l’existence dépendrait du hasard suppose la pré­existence d’un nombre de possibilités statistiques. Le hasard aurait fait alors que les dés (Einstein disait que Dieu ne joue pas aux dés) tombent préci­sément à la combinaison de constantes qui a donné à notre univers la pos­sibilité d’émerger dans la réalité.

Les mathématiciens ne sont pas encore parvenus à définir vraiment ce qu’est le hasard. Derrière ce que nous considérons le hasard, ils perçoivent un ordre qui appartient à un niveau plus subtil de réalité. Tout de même, certains ont produit des séquences de chiffres aléatoires avec de puissants ordinateurs et ils sont arrivés à la conclusion qu’il faudrait des milliards de milliards de milliards d’années pour avoir quelque chance de tomber sur une combinaison comparable à celle qui a présidé à l’éclosion de l’univers. Autrement dit, la possibilité que l’univers se soit produit par hasard est nulle.

Quant à l’accident qui aurait provoqué la naissance de l’univers, il suf­fit un instant de réfléchir à ce qu’est un accident pour conclure que cette notion ne peut s’appliquer ici.

Un accident suppose en effet qu’au milieu d’un nombre X d’événe­ments, un fait particulier puisse survenir qui ne réponde pas aux schèmes prévisibles observés pour l’ensemble. Or, l’émergence de l’univers dans la réalité est un événement unique. L’univers que nous pouvons connaître existe à un seul exemplaire. Comment pourrait-il être qualifié d’accident ? Il n’existe pas plusieurs univers parmi lesquels le nôtre aurait pu survenir “par accident”. Et puisque les constantes universelles ne pourraient s’écar­ter de leurs valeurs sans compromettre son existence, c’est donc que cet univers est prédéterminé. En définitive, on se doit de conclure qu’il est en quelque sorte voulu pour lui-même. Voulu par qui ? Voilà la question à laquelle la démarche scientifique ne peut répondre ! Elle se doit de recon­naître ici ses limites et confier le problème au philosophe.

Donc, parler de hasard ou d’accident pour expliquer la réalité, ne serait-ce pas recourir à un faux-fuyant pour justifier le refus a priori d’admettre la vraie cause de l’ordre et de la rigueur de l’univers ? Ne serait-ce pas une commode porte de sortie pour éviter de rendre compte de l’intelligibilité de l’univers par une Intelligence transcendante dont il serait l’œuvre ?

– Il est primordial, pour épouser le regard de l’homme de science, de considérer les causes objectives de la réalité. S’il fallait supposer qu’une cause puisse intervenir arbitrairement pour modifier les événe­ments selon les besoins du moment, comment pourrions-nous tirer de l’observation de la nature les connaissances que nous en avons ? Com­ment serait-il possible de découvrir les lois de la matière si elles pou­vaient être perturbées constamment dans son parcours par les inter­ventions d’un créateur ?

– J’admets tout à fait votre point de vue. À cette différence près que je n’estime pas l’autonomie de la nature menacée du fait de reconnaître sa création. Car l’acte créateur ne se situe pas au niveau de l’observable mais le transcende.

Pour bien comprendre la nuance, reprenons l’image du chantier de construction. L’entrepreneur en bâtiments sait que la moindre erreur de structure du futur édifice pourra entraîner des conséquences désastreuses, décuplées au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Une charpente faible, des angles mal calculés, des fondations insuffisantes entraîneront des répercussions fâcheuses jusqu’à la pose de la dernière tuile. L’ingé­nieur aux prises avec de telles erreurs devra intervenir tout au cours du processus de construction de l’édifice pour compenser les défauts initiaux et ajuster les matériaux en conséquence.

Eh bien ! dans le cas de l’univers, nous savons que la charpente a été parfaitement équilibrée au départ. De sorte que depuis l’évolution de la matière jusqu’à la structure du vivant, tout tombe en place admirablement, aucune faille ne se manifeste dans l’enchaînement des réalités les unes aux autres. Nul besoin donc d’interventions pour appliquer des correctifs après coup. Donc, le fait que l’ingénieur n’ait pas à intervenir dans le processus de construction ne devrait pas nous faire conclure que l’architecte n’existe pas. Plutôt, il devrait nous faire constater que le signataire de la structure a parfaitement calculé les paramètres de base de telle manière que l’univers produise de lui-même, dans un ordre et une cohérence stricte, les réalités que nous avons sous les yeux.

Cher Albert, je reconnais comme vous que nous nous confrontons à un monde qui donne toute l’apparence de l’autosuffisance. Mais cette autono­mie, bien loin d’infirmer le postulat d’un Créateur, me le confirme au con­traire et me parle de sa perfection.

– Une autosuffisance apparente ? L’autonomie de l’univers serait-elle une illusion, un rêve éveillé d’apparences ?

– Pour répondre exhaustivement à votre question, il me faudrait anti­ciper sur ma démarche. Nous y viendrons éventuellement. Je me limiterai pour le moment au commentaire qu’il y a plus que de l’observable dans la réalité. L’univers ne se limite pas au tangible, il ne se réduit pas à la matière. Cela, nous le découvrirons de plus en plus au cours de notre recherche. En attendant, puis-je suggérer que c’est précisément dans cette aire intangible que peut être saisie dans l’univers une Présence toujours agissante au-delà du temps, une Présence toujours dans l’acte de créer au-delà des causes secondes ? Mais comment évoquer cette action créatrice, à quoi la comparer ?

À Grand-Mère, province de Québec (Canada), le rocher qui a donné son nom à la ville, vu sous un certain angle, ressemble au visage d’une vieille dame. Cette attraction touristique est le produit des vents, des pluies, de l’érosion, bref, d’un très grand nombre de facteurs météorologiques et géologiques. Nous pouvons sans hésiter affirmer que le rocher Kokomis (nom attribué au rocher par une légende amérindienne) est le produit du hasard. Sa forme ne procède d’aucune intention intelligible, elle est acci­dentelle.

La nature peut produire ainsi aveuglément des formes que l’imagina­tion peut identifier. Les nuages se prêtent particulièrement bien à ce jeu d’interprétation de formes créées par hasard.

Maintenant, comparons ces formes accidentelles à une œuvre d’art. Un rapide coup d’œil sur le penseur de Rodin, par exemple, suffit pour cons­tater que cette sculpture ne peut être un fruit du hasard. L’image est pour­tant faite de pierre comme le rocher de Grand-Mère. Mais contrairement à ce dernier, l’on peut immédiatement saisir dans la forme donnée au mar­bre, un auteur doué de pensées et d’intentions.

Notons, cher Albert, que la science physique est incapable de définir objectivement de différence entre les deux. Les deux formes se réduisent pour le physicien à un amas accidentel d’éléments atomiques et moléculai­res. Pour apprécier la différence – et quelle différence ! – il faut faire appel au sens de l’art et de la beauté. Il faut recourir à une sensibilité à la réalité que les sciences ignorent, limitées qu’elles sont par leur perspective exclu­sive sur la matière.

Dans la nature, il existe des formes qui sont produites par accident. Mais d’autres procèdent d’une pensée et d’une intention que nous pouvons spontanément saisir. Ce qui revient à dire que notre faculté rationnelle peut se reconnaître dans ce qui lui est extérieur. C’est cela connaître. Et si elle peut reconnaître une pensée dans ce qui existe objectivement, ne serait-ce pas parce que cette pensée procède d’une Intelligence à laquelle notre intelligence humaine participe ? Une Intelligence non seulement capable de penser dans l’abstrait mais, ce qui est plus fort, une Intelligence capable de faire exister concrètement ce qu’elle pense, une Intelligence créatrice !

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« La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. C’est Dieu qui a mis au cœur de l’homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L’aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même » (Jean-Paul II, Fides et Ratio).
Croire ou non en Dieu relève d’un choix fondamental, une option existentielle dont le bien-fondé ou le non-fondé ne peut être établi que par la philosophie.
« Un peu de science éloigne de Dieu mais beaucoup y ramène ». Cet aphorisme du savant et fervent croyant Louis Pasteur (1822-1895) est parfois attribué aussi à Francis Bacon (1561-1628).
Cette illustration vise à représenter le “Big Bang” comme une explosion de lumière. Selon les astrophysiciens, cependant, l’univers est devenu lumineux et transparent 360 000 années après le temps zéro, soit après le tout début de dilatation de “l’atome primitif”.
Le Rocher Kokomis de Grand-Mère (Québec) est un exemple de figure produite au hasard des accidents de la matière (géologie, météorologie, etc.) qui ne procèdent d’aucune intention intelligible.
De toute évidence, “le penseur” de Rodin ne peut être le fruit du hasard. Cette sculpture, pourtant faite de pierre comme le rocher de Grand-Mère, permet de saisir, dans la forme donnée au mar­bre, un auteur doué de pensées et d’intentions.

4 réponses à “5- La genèse de la matière”

  1. Nicolas Tremblay

    Cet entretien est un des meilleurs à ce jour. Il est clair. Les exemples de la charpente ou du penseur de Rodin sont lumineux.
    L’auteur situe bien la place de la science, de la philosophie et de la foi. Il en situe les limites et les contours. Tout ce beau monde peut, à sa manière, s’intéresser aux récits bibliques de la création. Ils peuvent y puiser des informations très diverses et très différentes.
    Mais ce qui semble se dessiner c’est, en quelque sorte, un dialogue de sourd. Ou à tout le moins, il est difficile de voir ce que Albert et Paul peuvent s’apporter mutuellement. Ils sont comme dans deux mondes différents, deux univers de sens. Et cette question est importante, car c’est elle qui porte, en partie du moins, le sens du GTPN.
    Pour ma part, c’est une occasion de partager directement avec l’auteur, mon ami Paul. Les échanges font évoluer ma pensée. Cela me permet parfois de mettre des mots sur des réalités complexes. Ces échanges consolident aussi certains fondements de ma foi et de ma compréhension des Écritures. Ils ouvrent des horizons nouveaux.
    Bienvenue à toute personne qui souhaite venir échanger avec nous, de vive voix (en présence ou à distance), ou bien par le biais de commentaires écrits.

  2. Le dialogue amorcé ici avec Albert ne semble guère prometteur. Un dialogue de sourds, estime Nicolas non sans raison. S’agirait-il d’une confrontation entre deux univers de pensée aux antipodes ? L’on peut y voir une stratégie de l’auteur pour faire ressortir la distance entre la position initiale des protagonistes. Un fossé que l’auteur s’évertuera et parviendra partiellement à réduire par la suite, d’un entretien à l’autre, tout au cours de cette deuxième partie de l’ouvrage.
    Cette réduction ne se manifestera pas tant au niveau de la rigueur des arguments que par l’écoute ouverte d’Albert et du respect bienveillant du philosophe. Car, contrairement à ce qui semble à première vue, les positions de chacun ne s’appuient pas sur la base de connaissances positives mais tirent leurs racines de l’ordre moral impliquant les engagements du coeur.
    Sans vouloir mettre en doute la sincérité d’Albert, l’on peut noter ses réactions aux remises en cause du philosophe par des faux-fuyants. Des échappatoires qui torpillent toutefois toute velléité de questionnement sur l’existence de Dieu. Voilà le mur que le philosophe tentera de miner dans les futurs échanges pour parvenir à une communication susceptible de devenir communion fraternelle.

  3. Nicolas Tremblay

    Prenons une autre comparaison. Vous êtes devant un tableau et on vous demande « qui a fait ce tableau ? ». Vous répondez : « Picasso ». Alors, l’autre explique :
    Mais non. Ce sont les pigments de peinture qui ont fait le tableau. Au fur et à mesure que les pigments se collaient sur la toile, la peinture se développait.
    Mais ces pigments de peinture ont été appliqués par un pinceau. C’est lui qui allait les chercher et les appliquait ici et là. C’est donc le pinceau qui a fait la toile.
    Mais ce pinceau, il était mu par une main agile. C’est la main qui manipulait le pinceau et qui l’amenait ici et là. C’est donc la main qui a fait ce tableau.
    Mais cette main, c’était celle de Picasso. C’est lui qui la contrôlait et la dirigeait. Et donc, vous avez bien raison. C’est Picasso qui a fait le tableau.
    Mais, puisqu’il y a tant d’intermédiaires, pourquoi est-ce que nous retenons que c’est Picasso qui a fait le tableau ? Parce que c’est en lui que se trouve la volonté d’agir. Les pigments de peinture, le pinceau et la main n’ont pas cette volonté d’agir.
    Ainsi, lorsque nous sommes devant une œuvre d’art et qu’on se demande qui l’a faite. Il faut chercher qui avait la volonté d‘agir…
    Mais nous pourrions aussi aller plus loin, ou plus haut. Pourquoi arrêter à Picasso ? Qui a mis en Picasso la volonté d’agir ? Et qui a mis en lui, de plus, le talent et l’inspiration ? Est-ce que Picasso lui-même pourrait n’être qu’un intermédiaire, qu’une cause seconde dans une œuvre beaucoup plus grande mue par une volonté d’agir supérieure ?

  4. Je ne suis pas tout à fait de l’avis de Nicolas, quant au «dialogue de sourds» parce qu’au départ, Paul démontre qu’il a un plus gros bagage de connaissances sur les sciences que n’en a Albert sur Dieu et la foi. De sorte qu’à chaque sujet abordé, on sent s’effriter la soi-disant «solidité» d’Albert, et ce pour trois raisons. La première, l’écoute inconditionnelle de Paul à l’égard des propos d’Albert. La deuxième, dès le départ de l’échange, Albert fait preuve d’un peu d’arrogance en affirmant que le discours religieux l’intéresse, «ne fut-ce que pour le remettre en question».
    La troisième, Paul ébranle fortement les «colonnes du temple» d’Albert en lui déclarant son «adhésion sans réserve aux authentiques postulats scientifiques» et il donne le coup fatal en affirmant qu’il «en­dosse entièrement et avec enthousiasme, les méthodes de recherche qui permettent d’accéder à la connaissance objective… sans pourtant en éprou­ver de conflits avec ma foi.»
    Par la suite, les arguments d’Albert seront plutôt faibles mais l’échange n’en demeure pas moins très intéressant. Sans compter le fait d’acquérir bon nombres de notions scientifiques, en partie dans le domaine de l’astrophysique, des données dont on parle rarement dans un échange au petit déjeuner ! Notons aussi que cet échange nous fait prendre conscience de la quantité d’arguments nécessaires pour «affronter» un scientifique dans un débat visant à construire un pont entre la science et la foi.

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